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DELPHINE.

mot que je fusse forcé de désavouer : songez que l’on pourra croire que j’approuve tout ce que vous direz, et soyez plus fière que sensible quand il s’agit de la réputation de votre ami. Je ne vous rappellerai point que je la préfère à ma vie, je rougirais d’avoir besoin de vous l’apprendre ; mais quand votre sublime tendresse confond vos jours avec les miens, j’ose d’autant plus compter sur l’élévation de votre conduite : mon honneur sera le vôtre ; et, pour votre honneur, Delphine, vous ne craindriez point la mort. Adieu ; il faut que je vous quitte ; je dois rester chez moi tout le jour pour y attendre des nouvelles de M. de Valorbe. » Il y avait tant de calme et de fierté dans l’accent de Léonce, qu’un moment il me redonna des forces ; mais elles m’abandonnèrent bientôt quand j’entrai chez ma belle-sœur, et que j’y vis M. de Valorbe.

Louise se retira dans son cabinet pour nous laisser seuls ; je ne savais de quelle manière commencer cette conversation : M. de Valorbe avait l’air tout à fait résolu à l’éviter ; j’hésitais si je devais essayer de lui parler avec franchise de mes sentiments pour Léonce ; quoiqu’il les connût, je craignais qu’il ne se blessât de leur aveu. Je hasardai d’abord quelques mots sur les regrets qu’avait éprouvés M. de Mondoville lorsqu’il avait appris la situation fâcheuse dans laquelle M. de Valorbe se trouvait. Il répondit à ce que je disais d’une manière générale, mais sans prononcer un seul mot qui pût faire naître l’entretien que je désirais ; et lui, qui manque souvent de mesure quand il est irrité, s’exprimait avec un ton ferme et froid qui devait m’ôter toute espérance. Je sentais néanmoins que la résolution de M. de Valorbe pouvait dépendre de l’inspiration heureuse qui me ferait trouver le moyen de l’attendrir. Il existait sans doute ce moyen : j’implorais les lumières de mon esprit pour le découvrir, et plus j’en avais besoin, plus je les sentais incertaines. Assez de temps se passa sans même que M. de Valorbe me permît de commencer ; il détournait ce que je voulais lui dire, m’interrompait, et repoussait de mille manières le sujet dont j’avais à parler : j’éprouvais une contrainte douloureuse qu’il avait l’art de prolonger. Enfin je me décidai à lui représenter d’abord le tort irréparable que me ferait l’éclat d’un duel, et je lui demandai s’il était juste que le sentiment qui m’avait portée à lui donner un asile fût si cruellement puni. Il sortit alors un peu de ses phrases insignifiantes pour me répondre, et me dit que la cause de sa querelle avec M. de Mondoville ne pouvait avoir été entendue que par un homme qu’il avait cru remarquer près de là, mais qu’il ne connaissait pas. Je me hâtai