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QUATRIÈME PARTIE.

je suis menacé d’être arrêté cette nuit pour des raisons politiques ; c’est afin de me soustraire à ce danger que madame d’Albémar m’a accordé un refuge ; sa belle-sœur est venue s’établir chez elle ce soir même, pour m’autoriser, par sa présence, à profiter de la générosité de madame d’Albémar. Je crains d’être poursuivi, si ma retraite est connue ; remettons à demain une satisfaction qui, certes, m’intéresse plus que vous. » À ces mots, Léonce, confus, couvrit ses yeux de sa main, et se retira sans rien dire. À quelques pas de là, il retrouva ses gens ; on lui remit ma lettre, et il confesse qu’il fut très-honteux, en la lisant, de son impétuosité ; mais il déclare en même temps à ma belle-sœur qu’il ne faut pas penser à en prévenir les suites.

Lorsque mademoiselle d’Albémar fut instruite de tout, elle en parla à M. de Valorbe ; il lui parut mortellement offensé et n’admettant pas l’idée qu’une réconciliation fût possible. Cependant il est certain que personne n’a été témoin de l’emportement de Léonce ; votre mari ne peut-il pas être médiateur entre M. de Valorbe et M. de Mondoville ? S’il obtient un passeport pour M. de Valorbe, un pareil service ne lui donnera-t-il aucun empire sur lui ?

Léonce doit venir me voir tout à l’heure ; mais puis-je me flatter du moindre pouvoir sur sa conduite dans une semblable question ? Cependant je lui parlerai ; je conserve encore du calme : savez-vous ce qui m’en donne ? c’est la certitude de ne pas survivre un jour à Léonce ; le ciel même ne l’exigerait pas de moi ! Mais est-ce assez de cette certitude pour supporter le malheur qui me menace ? S’il perdait cette vie dont il fait un si noble usage, si son amour pour moi lui ravissait tant de jours de gloire et de bonheur que la nature lui avait destines, si sa mère redemandait son fils en maudissant ma mémoire ! Ô Élise, Élise, les douleurs que j’éprouve, vous ne les avez jamais senties ; et moi qui ai tant versé de pleurs, que j’étais loin d’avoir l’idée de ce que je souffre ! Antoine arrive, il va partir ; au nom du ciel, ne perdez pas un moment !

LETTRE XI. — DELPHINE À MADAME DE LEBENSEI.
Paris, ce 8 août.

Mes craintes sont dissipées ; je dois beaucoup à votre mari, à M. de Valorbe lui-même : il est parti ; tout est apaisé ; mais