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QUATRIÈME PARTIE.

un cheval pour aller à Cernay. Instruisez votre mari de tout, remettez-lui ma lettre pour qu’il la lise, et qu’il voie si, avant même de venir chez moi, il ne pourrait pas prendre un parti qui nous sauvât. Fatal événement ! Ah ! le sort me poursuit.

Hier, Léonce me dit qu’il devait y avoir une grande fête chez une de ses parentes qui demeure dans la même rue que moi ; il ajouta qu’il croyait nécessaire d’y aller, afin de ne pas trop faire remarquer son absence du monde. Il m’était revenu le matin même que M. de Valorbe parlait avec assez de confiance de ses prétentions sur moi, et je craignais qu’on en informât Léonce dans cette assemblée, où il devait trouver tant de personnes réunies ; mais comme je ne pouvais lui donner aucun motif raisonnable pour s’y refuser, je me tus ; et ma sœur approuvant Léonce, il me quitta de bonne heure pour chercher un de ses amis qu’il conduisait à cette fête. Un quart d’heure après, M. de Valorbe arriva chez moi assez troublé, et nous apprit que, s’étant mêlé d’une manière imprudente de ce qui concernait le départ du roi, il avait reçu l’avis à l’instant qu’un mandat d’arrêt était lancé contre lui et devait s’exécuter dans quelques heures. Il venait me demander de se cacher chez moi cette nuit même et me prier d’obtenir de votre mari qu’il tâchât de lui faire avoir un moyen de partir aujourd’hui pour son régiment et d’y rester, jusqu’à ce que son affaire fût apaisée.

Vous sentez, ma chère Élise, s’il était possible d’hésiter : un asile peut-il jamais être refusé ? Je l’accordai ; il fut convenu que ma sœur, qui logeait encore dans l’appartement d’une de ses parentes, où elle était descendue en arrivant, resterait ce soir chez moi ; que M. de Valorbe viendrait dans ma maison lorsque tous mes gens seraient couchés, et qu’Antoine seul veillerait pour l’introduire secrètement. Il n’était encore que huit heures du soir ; M. de Valorbe devait aller terminer quelques affaires essentielles chez son notaire et y rester le plus tard qu’il pourrait pour attendre l’heure convenue. Tout ce qui concernait la sûreté de M. de Valorbe étant ainsi réglé, il partit après m’avoir témoigné beaucoup plus de reconnaissance que je n’en méritais, puisque j’ignorais alors ce qu’il allait m’en coûter.

Je me hâtai de rentrer chez moi pour écrire à Léonce, sous le sceau du secret, ce qui venait de se passer ; je n’avais point d’autre motif, en le lui mandant, que de l’instruire avec scrupule de toutes les actions de ma vie ; j’ordonnai cependant qu’on remît avec soin ma lettre au cocher qui devait aller le chercher dans la maison où il soupait, si par hasard il y était déjà. Je