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DELPHINE.

jugez donc, ma chère Élise, combien il m’importe qu’à cet égard vous ne me laissiez rien ignorer.

LETTRE IX. — DELPHINE À MADAME DE LEBENSEI.
Paris, ce 1er août.

Léonce ne vous a rien dit, je n’ai rien su de nouveau par madame d’Artenas ni par personne. J’espère donc que mon imagination m’avait un peu exagéré ce que je craignais ; mais dès qu’une inquiétude cesse, une autre prend sa place : il semble qu’il faut toujours que la faculté de souffrir soit exercée.

Les assiduités de M. de Valorbe commencent à déplaire visiblement à Léonce, et sa condescendance pour ma sœur est, à cet égard, presque entièrement épuisée. Je ne sais comment écarter M. de Valorbe sans qu’il m’accuse de la plus indigne ingratitude ; et vous jugerez vous-même si, d’après ce qui vient de se passer, je ne dois pas chercher un prétexte quelconque pour cesser de le voir. Il a été trouver ma sœur avant-hier, et lui a déclaré qu’il avait découvert mon attachement pour Léonce. Son premier mouvement, a-t-il dit, avait été de se battre avec lui ; mais réfléchissant que c’était un moyen sûr de me perdre, il avait trouvé plus convenable de m’arracher au sentiment qui compromettait ma réputation, ma morale et mon bonheur ; il venait donc conjurer ma sœur de me décider à l’épouser. C’est un singulier rapprochement d’idées, que celui qui conduit un homme à désirer d’autant plus de se marier avec moi, qu’il se croit plus certain que j’en aime un autre. Mais tel est M. de Valorbe ; son amour-propre serait flatté d’obtenir ma main, il le serait d’autant plus qu’il croirait remporter ainsi un triomphe sur Léonce, dont la supériorité l’importune ; et, quoiqu’il m’aime réellement, il s’inquiète moins de mes sentiments pour lui, que de la préférence extérieure qu’il voudrait que je lui accordasse. C’est un homme qui apprend des autres s’il est heureux, et qui a besoin d’exciter l’envie pour être content de sa situation ; son orgueil combat et détruit tout ce qu’il a d’ailleurs de bonnes qualités, et je le redoute beaucoup maintenant que je suis obligée de le blesser par un refus positif.

Je répétais depuis plusieurs jours à ma sœur combien je craignais qu’elle ne se repentit elle-même d’avoir amené si souvent M. de Valorbe chez moi, lorsque ce matin elle est venue, ce qui vous étonnera peut-être assez, me proposer sérieusement