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DELPHINE.

et met dans mon amitié pour elle encore plus, pour ainsi dire, de coquetterie que de confiance.

Mon âme s’ouvrirait entièrement avec vous, ma chère Louise ; vous l’avez formée, en me tenant lieu de mère ; vous avez toujours été mon amie ; je conserve pour vous cette douce confiance du premier âge de la vie, de cet âge où l’on croit avoir tout fait pour ceux qu’on aime en leur montrant ses sentiments et en leur développant ses pensées.

Dites-moi donc, ma chère sœur, quel est cet obstacle qui s’oppose à ce que vous quittiez votre couvent pour vous établir à Paris avec moi ? Vous m’avez fait un secret jusqu’à présent de vos motifs ; supportez-vous l’idée qu’il existe un secret entre nous ?

Je vous ai promis, en vous quittant, de vous écrire mon journal tous les soirs ; vous vouliez, disiez-vous, veiller sur mes impressions. Oui, vous serez mon ange tutélaire, vous conserverez dans mon âme les vertus que vous avez su m’inspirer ; mais ne serions-nous pas bien plus heureuses si nous étions réunies ? et nos lettres peuvent-elles jamais suppléer à nos entretiens ?


Après avoir reçu le billet de madame de Vernon, je partis le jour même pour l’aller voir ; je quittai Bellerive à cinq heures du soir, et je fus chez elle à huit. Elle était dans son cabinet avec sa fille ; à mon arrivée, elle fit signe à Mathilde de s’éloigner. J’étais contente, et néanmoins embarrassée de me trouver seule avec elle : j’ai éprouvé souvent une sorte de gêne auprès de madame de Vernon, jusqu’à ce que la gaieté de son esprit m’ait fait oublier ce qu’il y a de réservé et de contenu dans ses manières ; je ne sais si c’est un défaut en elle, mais ce défaut même sert à donner plus de prix aux témoignages de son affection.

« Eh bien, me dit-elle en souriant, Mathilde a donc voulu vous convertir ? — Je ne puis vous dire, ma chère tante, lui répondis-je, combien sa lettre m’a fait de peine ; elle a provoqué ma réponse, et je m’en suis bientôt repentie : j’avais une frayeur mortelle de vous avoir déplu. — En vérité, je l’ai à peine lue, reprit madame de Vernon ; j’y ai reconnu votre bon cœur, votre mauvaise tête, tout ce qui fait de vous une personne charmante ; je n’ai rien remarqué que cela : quant au fond de l’affaire, l’homme chargé de dresser le contrat y insérera les conditions que vous voulez bien offrir ; mais il faut que vous permettiez qu’on mette dans l’article que c’est une donation faite en dédommagement de l’héritage de M. d’Albémar.