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QUATRIÈME PARTIE.

terre, de te respecter comme un frère, Delphine, pourquoi changerais-tu rien à notre manière de vivre ? ne frémis-tu pas à l’idée de ces résolutions nouvelles qui bouleversent l’existence, quand tout est si bien ? Coupable que je suis ! pourquoi n’ai-je pas toujours pensé ainsi ? Je suis résigné, tu n’as plus rien à craindre de moi, tu dois en être convaincue ; nous nous connaissons trop pour ne pas répondre l’un de l’autre. Oh ! n’est-il pas vrai qu’à présent, si tu le veux, tu seras bientôt guérie ? tu en as le pouvoir : cet amour qui existe en nous peut appeler ou repousser la mort à son gré : il nous anime, il est notre vie ; Delphine, il réchauffera ton sein. Sois heureuse, livre ton âme aux plus douces espérances ; les douleurs que j’ai ressenties ont pour toujours enchaîné les passions furieuses de mon âme ; oui, de quelque puissance que vienne cette horrible leçon, elle a été entendue. Mon amie, je vais te voir, je vais te porter cette lettre ; après l’avoir lue, ne me dis rien, ne me réponds pas ; un de tes regards m’apprendra tes plus secrètes pensées.

LETTRE III. — MADEMOISELLE D’ALBÉMAR À MADAME LEBENSEI.
Dijon, ce 14 juin 1791.

Je serai à Paris, madame, le lendemain du jour où vous recevrez cette lettre ; préparez Delphine à mon arrivée. Ô ma pauvre Delphine ! dans quel état vais-je la trouver ! Elle sera mieux, je l’espère ; sa jeunesse, vos soins l’auront sauvée ! De quel secours pourrai-je être à son bonheur ? Mais elle m’a nommée, dites-vous, j’ai dû venir. Je vous en conjure, madame, épargnez-moi le plus que vous pourrez les occasions de voir du monde. Vous ne savez peut-être pas à quel point je souffre d’arriver à Paris ; mais aucune considération n’a pu m’arrêter quand il s’agissait d’une personne si chère. Adieu, madame, je repars à l’instant pour continuer ma route.

LETTRE IV. — MADAME DE LEBENSEI À M. DE LEBENSEI.
Paris, ce 14 juin.

Tu peux m’envoyer chercher demain, mon cher Henri, pour retourner près de toi. La belle-sœur de madame d’Albémar est arrivée depuis deux jours. Delphine est mieux, malgré l’émotion