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DELPHINE.

J’étais insensé ; mais tu ne dois pas craindre que désormais ce coupable délire puisse s’emparer de moi ; tu ne le dois pas, si tu as quelque idée de l’impression qu’a faite sur mon cœur l’état où je t’ai vue ; mon amour n’a rien perdu de sa force, mais il a changé de caractère.

Il me semblait, avant ta maladie, qu’une vie surnaturelle nous animait tous les deux ; j’avais oublié la mort, je ne pensais qu’à la passion, qu’à ses prodiges, qu’à son enthousiasme. Au milieu de cette ivresse, tout à coup la douleur t’a mise au bord du tombeau ; oh ! jamais un tel souvenir ne peut s’effacer ! la destinée m’a replacé sous son joug, elle m’a rappelé son empire, je suis soumis. Toutes les craintes, tous les devoirs pourront m’en imposer maintenant : n’ai-je pas été au moment de te perdre ? Suis-je sûr de te conserver encore, et mes emportements criminels n’ont-ils pas rempli ton âme innocente de terreur et de remords ?

Ô Delphine ! être que j’adore ! ange de jeunesse et de beauté ! relève-toi ! ne te laisse plus abattre, comme si ma passion coupable avait humilié l’âme sublime qui sut en triompher ? Delphine ! depuis que je t’ai vue prête à remonter dans le ciel, je te considère comme une divinité bienfaisante qui recevra mes vœux, mais dont je ne dois pas attendre des affections semblables aux miennes. Que se passe-t-il dans ton cœur ? tu parais indifférente à la vie, et cependant je suis là, près de toi ; nous ne sommes pas séparés, nous nous voyons sans cesse, et tu veux mourir ! Mon amie, les jours de Bellerive sont-ils donc entièrement effacés de ta mémoire ? nous en avons eu de bien heureux, ne t’en souvient-il plus ? ne veux-tu pas qu’ils renaissent ? Insensé que je suis ! puis-je désirer encore que tu me confies ta destinée ? Delphine ton sort était paisible, tu étais l’admiration et l’amour de tous ceux qui te voyaient ; je t’ai connue, et tu n’as plus éprouvé que des peines ! Eh bien, douce créature, es-tu découragée de m’aimer ? ce sentiment, qui te consolait de tout, est-il éteint ? Tu n’as pu me parler ; j’ignore ce qui t’occupe, je ne sais plus ce que je suis pour toi : Cependant, puisque je ne me sens pas seul au monde, sans doute tu m’aimes encore.

J’ai craint de t’agiter trop vivement par un entretien ; j’ai préféré de t’écrire pour te rassurer, pour te dire même que tu étais libre, oui, libre de me quitter ! si mon supplice, si mon désespoir… Non, je ne veux point t’effrayer ; je t’ai rendu le pouvoir absolu, à quelque prix que ce soit, tu peux en user : mais quand je te jure, par tout ce qu’il y a de plus sacré sur la