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TROISIÈME PARTIE.

se souvenant mal des deux personnes qu’on l’avait chargé de recevoir, il me dit en montrant Léonce : « Madame, monsieur est sans doute votre mari ? Ah ! Louise, ce mot si simple réveillait tant de regrets et de remords, que je restai comme immobile devant la porte de l’église, n’osant en franchir le seuil. Léonce prit la parole avec précipitation : « Je suis le parent de madame, » répondit-il ; et, m’entraînant après lui, nous entrâmes. Le prêtre nous fit asseoir sur un banc peu éloigné de la grille du chœur. Léonce se plaça de manière qu’il ne pût apercevoir l’autel devant lequel il s’était marié ; sa respiration était haute et précipitée ; moi j’avais couvert mes yeux de mon mouchoir, je ne voyais rien, je pensais à peine : j’éprouvais seulement une agitation intérieure, une terreur sans objet fixe, qui troublait entièrement mes réflexions. L’une des portes qui conduisaient dans l’intérieur du couvent s’ouvrit : des religieuses couvertes d’un voile noir, suivies de l’infortunée Thérèse, vêtue d’une robe blanche, s’avancent à quelque distance de nous dans un profond silence : Thérèse s’appuyait sur le bras de son confesseur ; mais ses pas n’étaient point chancelants, on pouvait même remarquer qu’une exaltation extraordinaire les rendait trop rapides. Pendant qu’elle marchait, les prêtres chantaient un psaume lugubre qu’accompagnait un orgue assez doux. Thérèse quitta les religieuses pour venir vers moi ; elle me serra la main avec une expression que je ne pourrai jamais oublier, et, tendant une lettre à Léonce, elle lui dit à voix basse : « Quand la barrière éternelle sera refermée sur moi, lisez ce papier, dans cette église même, à la lueur de cette lampe qui brûle à quelques pas de l’autel où vous avez prononcé d’irrévocables serments. Écoutez, pour vous préparer à ce que j’ose vous demander, les chants des religieuses qui vont consacrer mon entrée dans leur asile ; quand ils auront cessé, je n’existerai plus pour le monde ; mais si vous exaucez mes prières, vous me réconcilierez avec Dieu ; je ne serai plus coupable devant lui de votre perte à tous les deux. Et toi, mon amie, me dit-elle, tu vois où l’amour m’a conduite ; fuis mon exemple. Adieu. » n achevant ces mots, elle s’approcha de la grille du chœur, tourna la tête encore une fois vers moi ; et dans le moment où cette grille allait nous séparer pour toujours, elle me fit un dernier signe, comme sur les confins de la terre et du ciel. Je crus la voir passer de la vie à la mort ; et, dans l’éloignement, elle m’apparaissait telle qu’une ombre légère, déjà revêtue de l’immortalité.

Léonce était resté immobile, tenant à la main la lettre de