Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/370

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
343
TROISIÈME PARTIE.

du mien, et qu’il ne peut sans barbarie se refuser au dernier effort qu’elle veut tenter pour m’arracher aux malheurs qui me menacent ; elle se croit sûre d’obtenir ainsi le consentement de Léonce. J’ai promis que si elle l’obtenait en effet, je partirais à l’instant même ; c’est dans six jours, et je dois jusque-là cacher à Léonce ce que j’éprouve ; je l’ai juré. Je vous l’avoue, lorsque Thérèse m’a arraché tous les engagements qu’elle a voulu, j’avais un espoir secret que rien ne pourrait décider Léonce à mon départ ; mon opinion à présent n’est plus la même : Thérèse est si touchante ! le moment qu’elle a choisi pour parler à Léonce est si propre à l’émouvoir ! J’y joindrai moi-même mes instances, je le dois, je le ferai ; mais se taire pendant ces six jours, le revoir avec l’idée que bientôt peut-être nous serons séparés ! Thérèse a trop exigé de moi ; sa dévotion, tout à la fois exaltée et romanesque, m’ébranle, m’entraîne, et ne me soutient pas.

Elle m’a répété de mille manières, avec cet accent passionné quelle tient de l’amour et qu’elle consacre à la religion, que je ne pouvais pas me refuser à l’espoir qu’il lui restait encore de me sauver et d’obtenir l’absolution de ses fautes. « Je vous demande bien peu me disait-elle, je vous demande seulement la permission d’essayer dans un moment solennel si je puis attendrir votre amant sur le sort auquel il vous livre ; vous ne pouvez pas vous y opposer sans vous avouer à vous-même que, dût-il accéder à votre départ, vous n’en seriez pas capable ! » Je résistais encore à ce qu’elle désirait, une crainte vague me retenait : mais lorsque j’étais prête à la quitter, elle s’est précipitée à mes pieds avec sa fille, et m’a représenté avec une telle force ce que j’éprouverais si je me rendais coupable, ce qu’elle avait souffert, parce que, éloignée de moi, une âme courageuse n’était point venue à son secours ; elle a fait naître dans mon cœur une émotion si vive, que j’ai consenti à tout.

Qu’en arrivera-t-il ? une séparation déchirante : je suis comme égarée ; on dispose de moi sans que ma volonté me guide ; je ne sais ce que je dois craindre ; peut-être de tels efforts augmenteront-ils les dangers mêmes dont on veut me sauver ! — Ah ! Léonce, c’est à vous qu’on s’en remet, est-ce vous qui briserez nos liens ?