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DELPHINE.

faudra que vous m’écoutiez sur votre sort à tous les deux. Avant de vous en parler, je veux voir madame d’Artenas ; je ne connais qu’elle à Paris, c’est une parente de M. d’Ervins, elle est aussi l’amie de madame d’Albémar ; je dois lui faire part de la résolution que j’ai prise. Voulez-vous avoir la bonté, monsieur de Mondoville, de me conduire demain chez elle ? J’entre après-demain dans mon couvent, et huit jours après, le premier de juin, je prendrai le voile de novice.

— Ciel ! dans huit jours ! m’écriai-je. — C’est un secret, reprit Thérèse ; vous savez que, par les nouvelles lois, on ne reconnaît plus les vœux ; mais le prêtre vénérable qui me conduit a tout arrangé, et si l’on ne permettait plus aux religieuses de vivre en France en communauté, il m’a assuré un asile dans un couvent en Espagne. Je vous demanderai, ma chère Delphine, de me conduire vous-même dans ma retraite avec ma fille ; je l’embrasserai sur le seuil du couvent pour la dernière fois, et, après cet instant, c’est vous qui serez sa mère. »

Sa voix s’altéra en parlant de sa fille ; mais, faisant un nouvel effort, elle dit à Léonce : « Demain à midi, n’est-il pas vrai, monsieur de Mondoville, vous viendrez me chercher pour me mener chez madame d’Artenas ? » Léonce consentit à ce qu’elle désirait par un signe de tête ; il ne pouvait parler, il était trop ému. Ah ! c’est une âme aussi tendre que fière ! ce n’est pas l’amour seul qui le rend sensible, la nature lui a donné toutes les vertus. Thérèse le regardait avec attendrissement, et c’est lui, j’en suis sûre, dont elle aurait imploré la protection, s’il lui était encore resté quelque intérêt dans le monde.

Le lendemain, Léonce et madame d’Ervins revinrent ensemble à quatre heures de chez madame d’Artenas : je vis, sans en savoir la cause, que Léonce avait été très-attendri ; Thérèse, calme en apparence, demanda cependant à se retirer quelques heures dans sa chambre. Léonce, resté seul avec moi, me raconta ce qui venait de se passer ; il ne se doutait point du projet de madame d’Ervins en la conduisant chez madame d’Artenas, et dans la route elle n’avait rien dit qui pût lui en donner l’idée. Ils arrivèrent ensemble chez madame d’Artenas, et la trouvèrent seule avec sa nièce, madame de R. Après que madame d’Ervins eut annoncé sa résolution à madame d’Artenas, elle lui fit le récit de la conduite que j’avais tenue envers elle, et, attribuant à cette conduite un mérite bien supérieur à celui qu’elle peut avoir, elle avoua tout, excepté ce qui eût indiqué mes sentiments pour Léonce. Il m’a dit que de sa