née qui menace l’enfant à son insu. La mère reprit le même refrain, en disant :
Elle t’accorde, ta mère,
Pour ton époux, ton amant ;
Tu l’aimeras tendrement,
Ainsi qu’elle aime ton père.
À ces derniers mots, il y eut dans le regard de madame de Belmont quelque chose de si passionné, et tant de modestie succéda bientôt à ce mouvement, que je me sentis pénétré de respect et d’enthousiasme pour ces nobles liens de famille, dont on peut à la fois être si fier et si heureux. Enfin le père chanta à son tour :
Ma fille, aime ta mère,
Prends pour époux ton amant ;
Et chéris-le tendrement,
Comme elle a chéri ton père.
La voix de M. de Belmont se brisa tout à fait en prononçant ces paroles, et ce fut avec effort qu’il la retrouva, pour répéter tous les trois ensemble le refrain, sur un air de montagne qui semblait faire entendre encore les échos des Pyrénées. Leurs voix étaient d’une parfaite justesse : celle du mari, grave et sonore, mêlait une dignité mâle aux doux accents des femmes ; leur situation, l’expression de leur visage, tout était en harmonie avec la sensibilité la plus pure ; rien n’en distrayait, rien ne manquait même à l’imagination. Delphine me l’a dit depuis : l’attendrissement que lui faisait éprouver une réunion si parfaite de tout ce qui peut émouvoir, cet attendrissement était tel, qu’elle n’avait plus la force de le supporter. Ses larmes la suffoquaient, quand madame de Belmont, se jetant presque dans ses bras, lui dit : « Aimable Delphine, je vous reconnais ; mais nous croiriez-vous malheureux ? Ah ! combien vous vous tromperiez ! » Et comme si tout à coup la musique avait fondé notre intimité, elle se plaça près de madame d’Albémar, et lui dit :
« Quand je vous ai connue, il y a dix ans, M. de Belmont m’aimait déjà depuis quelques années ; mais comme on craignait qu’il ne perdit la vue, mes parents s’opposaient à notre mariage. Il devint entièrement aveugle, et je renonçai alors à