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DELPHINE.

sieur, les torts de légèreté de madame d’Albémar des inconvénients de l’esprit en général. L’esprit est ce qui distingue éminemment les femmes citées pour leur raison. » Je me préparais à exciter une dispute sur ce sujet entre madame de Tésin et M. de Verneuil, lorsque madame du Marset et M. de Fierville prévoyant mon intention, cherchèrent à ramener la conversation sur vous, et le firent avec une adresse vraiment perfide. Je voulais éviter même de vous défendre, parce que je sentais que c’était constater que vous aviez été attaquée ; mais il fallut enfin arrêter leurs discours ; j’eus au moins le bonheur de persuader entièrement ceux qui nous écoutaient ; ce qui me le prouva, c’est que M. de Fierville, qui donne toujours à madame du Marset le signal de la retraite, parce qu’il a beaucoup moins d’amertume et de persistance dans ses méchancetés, se hâta de se replier en vous donnant les plus grands éloges.

J’aurais pu lui faire sentir combien il y avait de contraste entre le commencement de sa conversation et la fin ; mais je ne voulais pas intéresser son amour-propre à se montrer conséquent. J’ai remarqué plusieurs fois dans la société que l’on fait beaucoup de mal à ses amis, même en les justifiant, quand on irrite l’amour-propre de ceux qui les ont attaqués. Il faut encore plus veiller sur soi quand on loue que quand on blâme ; si l’on veut se faire honneur en défendant ses amis, si l’on cherche à faire remarquer son caractère en vantant le leur, on leur nuit au lieu de les servir.

Je croyais avant-hier que tout était fini ; mais hier madame du Marset (je suis sûre que c’est elle) a mis en avant une femme tout insignifiante, mais dont elle dispose, et s’en est servie pour parler contre vous, tandis qu’elle-même, madame du Marset, n’aurait pas été écoutée. Cette femme donc, après un long soupir, s’est écriée tout à coup : « La pauvre madame de Mondoville ! » On lui a demandé la raison de sa pitié ; elle a répondu qu’elle la croyait bien malheureuse du sentiment que Léonce avait pour vous. À l’instant M. de Fierville, que vous connaissez pour l’homme le plus insouciant de la terre, a pris un air de componction vraiment risible. Madame du Marset a levé les yeux au ciel, espérant donner ainsi à sa figure un air de bonté ; et ce qu’il y avait dans la chambre de plus frivole et de moins scrupuleux s’est empressé de débiter des maximes sévères sur les ménagements que vous deviez à madame de Mondoville.

Quand la société de Paris se met à vouloir se montrer morale