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DELPHINE.

blonds, ce crêpe qui environnait votre taille et faisait ressortir la plus éclatante blancheur, toute votre parure enfin contribuait à vous rendre éblouissante. J’entendis des murmures d’admiration de toutes parts, et je ne sais pourquoi je ne me sentis pas fier de votre succès ; il me semblait que vous deviez votre éclat au désir de plaire généralement, et non à votre attachement pour moi seul ; cette impression fut la première que j’éprouvai en vous voyant, et le reste de la soirée ne fut que trop d’accord avec ce pénible sentiment.

Jamais vous n’avez produit tant d’effet par votre présence et par votre conversation ! jamais vous n’avez montré un esprit plus séduisant et plus aimable ! Trois rangs d’hommes et de femmes faisaient cercle autour de vous, pour vous voir et vous entendre. La jalousie, la rivalité étaient pour un moment suspendues ; on était avec vous comme les courtisans avec la puissance, ils cherchent à s’en approcher sans se comparer avec elle ; chacun était glorieux de bien comprendre tout le charme de vos expressions, et pour un moment les amours-propres luttaient seulement ensemble à qui vous admirerait le plus. Moi, je me tins à quelque distance de vous, sans perdre un mot de votre entretien. J’entendis aussi les exclamations d’enthousiasme, je dirais presque d’amour, de tous ceux qui vous entouraient. Tandis que votre esprit se montrait plus libre, plus brillant que jamais, il m’était impossible de me mêler à la conversation ; vous étiez gaie et j’étais sombre. Cependant, moi aussi, Delphine, moi aussi je suis heureux. Pourquoi donc étais-je si embarrassé, si triste ? expliquez-moi la raison de cette différence : oh ! si vous alliez découvrir que c’est parce que je vous aime mille fois plus que vous ne m’aimez !

Certainement la vie de Paris ne peut convenir à l’amour ; le sentiment que vous avez daigné m’accorder s’affaiblirait au milieu de tant d’impressions variées. Je le sais, votre cœur est trop sensible pour que l’amour-propre puisse le distraire des affections véritables ; mais enfin ces succès inouïs que vous obtenez toujours dès que vous paraissez, ne vous causent-ils pas quelques plaisirs ? et ces plaisirs ne viennent pas de moi : ce seraient eux, au contraire, qui pourraient vous dédommager de mon absence. Je suis glorieux de votre beauté, de votre esprit, de tous vos charmes, et cependant ils me font éprouver cette jalousie délicate qui ne se fixe sur aucun objet, mais s’attache aux moindres nuances des sentiments du cœur : ces suffrages qui se pressent autour de vous, il me semble qu’ils nous séparent ; ces éloges que l’on vous prodigue donnent à