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DELPHINE.

ciel à cause de toi. Tu m’instruiras dans ta religion ; je ne m’en étais pas occupé jusqu’à ce jour, mais j’ai tant de bonheur, qu’il me faut où porter ma reconnaissance ! ce n’est pas assez du culte que je te rends, il faut me dire à qui je dois ta vie, qui te l’a donnée, qui te la conserve. Impose-moi quelques sacrifices, quelques peines ; mais il n’y en a plus au monde. Comment faire pour découvrir quelques devoirs qui me coûtent, quelques actions qui puissent m’être comptées, quand je te verrai tous les jours ? Oh ! Delphine ! calme-moi, s’il est possible, sur l’excès de mon bonheur, sur sa durée. Dis-moi que le ciel t’a permis de me donner un sort qui n’était pas fait pour les hommes ; je puis tout espérer, je puis tout croire ! Quel miracle m’étonnerait quand un moment a changé la nature entière à mes yeux ?

Oui, je possède cette félicité, la mort seule la terminera ; il n’y en aura plus de ces terribles jours pendant lesquels je ne te voyais pas. Mon amie, la force de les concevoir et de les supporter n’existe plus en moi ; j’ai perdu en un instant toute puissance sur mon âme ; le bonheur est devenu mon habitude, mon droit ; il faut me ménager avec bien plus de soin que dans le temps de mon désespoir. Je suis heureux, mais tout mon être est ébranlé ; les palpitations de mon cœur sont rapides ; je sens dans mon sein une vie tremblante, que la moindre peine anéantirait à l’instant. Oh ! Delphine ! le bonheur parfait étonne la nature humaine ; ma tête se trouble, et je suis prêt à devenir misérablement superstitieux, depuis que je possède tous les biens du cœur.

Adieu, Delphine, adieu ; je veux en vain m’exprimer : il y a dans les passions violentes une ardeur, une intensité dont l’âme seule a le secret. Une sympathie céleste, une étincelle d’amour te révélera peut-être ce que j’éprouve.

LETTRE X. — MADEMOISELLE D’ALBÉMAR À DELPHINE .
Montpellier, 20 décembre.

Je le crois, j’en suis sûre, ma chère Delphine, puisque vous êtes heureuse, vous n’avez pas dans le cœur un seul désir, une seule pensée que la vertu la plus parfaite ne puisse approuver : mais, hélas ! vous ne vous doutez pas de tous les périls de votre situation ; faut-il que je sois forcée par les devoirs de l’amitié à