Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/260

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
233
DEUXIÈME PARTIE.

repentir, elle repoussait doucement cette conversation, l’entretenait de son amitié pour elle, avec une sorte de mesure et de délicatesse qui écartait le souvenir de la conduite de madame de Vernon, et ne rappelait que ses qualités aimables. Delphine apportait attentivement à son amie mourante les secours momentanés qui calmaient ses douleurs ; elle la replaçait doucement et mieux sur son sofa, elle l’interrogeait sur ses souffrances avec les ménagements les plus délicats, et sans montrer ses craintes, elle laissait voir toute sa pitié ; enfin, le génie de la bonté inspirait Delphine ; et sa figure, devenue plus enchanteresse encore par les mouvements de son âme, donnait une telle magie à toutes ses actions, que j’étais tentée de lui demander s’il ne s’opérait point quelque miracle en elle : mais il n’y en avait point d’autre que l’étonnante réunion de la sensibilité, de la grâce, de l’esprit et de la beauté !

Pauvre madame de Vernon ! Elle a du moins joui de quelques heures très-douces ; et, pendant cette nuit, j’ai vu sur son visage une expression plus calme et plus pure que dans les moments les plus brillants de sa vie. J’espère encore que son âme n’a pas perdu tout le fruit du noble enthousiasme que Delphine avait su lui inspirer. Enfin le jour commença : c’était un des plus sombres et des plus glacés de l’hiver ; il neigeait abondamment, et le froid intérieur qu’on ressentait ajoutait encore à tout ce que cette journée devait avoir d’effroyable. Je voyais que madame de Vernon s’affaiblissait toujours plus, et que ses vomissements de sang devenaient plus fréquents et plus douloureux. Je suis convaincue que, quand même elle eût évité les cruelles épreuves qu’elle a souffertes, elle n’aurait pu vivre un jour de plus.

Le médecin arriva, et, bientôt après, madame de Mondoville : je dois lui rendre la justice que son visage était fort altéré ; elle avait l’air d’avoir beaucoup pleuré : madame de Vernon le remarqua, et lui fit un accueil très-tendre. Le médecin, après avoir examiné l’état de madame de Vernon, qui ne l’interrogea même pas, sortit avec madame de Mondoville ; il est probable qu’il lui annonça que sa mère n’avait plus que quelques heures à vivre. Alors le confesseur de Mathilde, qui n’a pas la modération et la bonté de quelques hommes de son état, décida l’aveugle personne dont il disposait, à le conduire chez sa mère, malgré le refus qu’elle avait fait de le voir.

Au moment où nous vîmes Mathilde entrer dans la chambre, accompagnée de son prêtre, nous tressaillîmes, madame d’Albémar et moi ; mais il n’était plus temps de rien empêcher. Ma-