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DELPHINE.

d’aveux indignes de pardon, c’est en vous seule que j’espère pour verser des larmes sur ma tombe, et conserver un souvenir de moi qui tienne encore à quelque chose de sensible.

Sophie de Vernon.

Quelle lettre que celle que vous venez de lire, ma chère Louise ! n’augmente-t-elle pas votre pitié pour la malheureuse Sophie ? Quelle vie froide et contrainte elle a menée ! quelle honte et quelle douleur qu’une dissimulation habituelle ! comment pourrai-je lui inspirer quelques-uns de ces sentiments qui peuvent seuls soutenir dans la dernière scène de la vie ? Oh ! je lui pardonne, et du fond de mon cœur ; mais je voudrais que son âme s’endormit dans des idées, dans des espérances qui puissent l’élever jusqu’à son Dieu. Je vais retourner vers elle, et demain je vous écrirai.

LETTRE XLII. — DELPHINE À MADEMOISELLE D’ALBÉMAR.
Paris, ce 30 novembre.

Madame de Vernon a été aujourd’hui véritablement sublime ; plus son danger augmente, plus son âme s’élève. Ah ! que ne peut-elle vivre encore ! elle donnerait, j’en suis sûre, pendant le reste de sa vie, l’exemple de toutes les vertus. Sa fille, qui avait passé la nuit à la veiller, est montée chez moi ce matin ; elle m’a dit que sa mère était plus mal que le jour précédent, et qu’il ne restait plus aucun espoir, « Il faut donc, ajouta-t-elle, il faut absolument que vous lui parliez de la nécessité d’accomplir ses devoirs de religion : je vous en conjure, ayez ce courage ; il aura plus de mérite avec vos opinions qu’avec les miennes, et vous m’éviterez le plus cruel des malheurs, en sauvant ma pauvre mère de la perdition qui la menace. Mon confesseur est ici : c’est un prêtre d’une dévotion exemplaire ; il prie pour nous dans ma chambre et m’a déjà dit la messe pour obtenir du ciel que ma mère meure dans le sein de notre Église : cependant que peuvent ses prières, si ma mère n’y réunit pas les siennes ! Ma chère cousine, persuadez-la ! quelle que soit sa réponse, je lui parlerai, c’est mon devoir ; mais si elle était bien préparée, si elle savait qu’une personne aussi philosophe… je ne le dis pas pour vous offenser, vous le croyez bien ; mais enfin, si elle savait qu’une personne du monde, comme vous, est d’avis qu’elle doit se conformer aux devoirs de sa religion, peut--