Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/241

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
214
DELPHINE.

avec vous, ma chère Louise ; je vous envoie la lettre de madame de Mondoville, et je pars.

MADAME DE MONDOVILLE À MADAME D’ALBÉMAR.
Paris, 26 novembre.

J’ai à vous annoncer, ma chère cousine, un cruel malheur : cette nuit, ma mère a pris un vomissement de sang qui ne s’est point arrêté pendant plusieurs heures, et que les médecins regardent comme mortel ; sa poitrine est déjà très-attaquée depuis plusieurs mois par des veilles continuelles : l’on croit ce dernier accident sans remède dans son état, et le péril même en parait extrêmement prochain. Elle avait tout à fait perdu connaissance vers la fin de la nuit ; en revenant à elle, elle a fait quelques questions à son médecin ; et, comprenant parfaitement sa situation, elle lui a dit, avec l’air le plus calme et le plus doux : « J’aurais besoin, monsieur, de trois ou quatre jours pour régler divers intérêts ; donnez-moi donc les remèdes qui peuvent me soutenir : peu importe, comme vous le sentez bien, s’ils conviennent au fond de la maladie ; elle est jugée, elle est sans ressources ; mais indiquez-moi ce qu’il faut faire pour avoir im peu de force jusqu’à la fin de ma vie, je vous en serai sensiblement obligée. » Alors, se retournant vers moi, elle me dit : « C’est pour voir madame d’Albémar que je souhaite encore de vivre quelques jours ; je l’ai rencontrée hier matin partant pour Montpellier ; je crois qu’un courrier peut la rejoindre, faites-le partir à l’instant ; je connais son cœur, je suis sûre qu’elle n’hésitera pas à revenir ; dites-lui seulement mon désir et mon état. » Je crois, comme ma mère, ma chère cousine, que vous êtes trop bonne pour hésiter à satisfaire les vœux d’une femme mourante, quand même, ce que j’ai toujours voulu ignorer, vous croiriez avoir à vous plaindre d’elle. Vous n’avez pas un moment à perdre pour lui donner la satisfaction de vous revoir et pour contribuer au salut de son âme ; car je ne doute pas que, malgré nos différences d’opinion, vous ne vous joigniez à moi pour l’engager à remplir les devoirs sacrés dont dépend son bonheur à venir : c’est le premier intérêt dont je veux vous parler. Vous lui ferez plus d’impression que moi si vous vous joignez à mes instances ; vous ne voulez pas, j’en suis sûre, exposer ma pauvre mère à mourir sans avoir reçu les secours de la religion. Je retourne auprès d’elle et je vous attends