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DELPHINE.

le connais, je suis sûr qu’il suivra le dessein qu’il m’annonce, de forcer madame de Mondoville à rompre avec sa mère. Quel trouble cependant ne va-t-il pas en résulter ?

Quelque coupable que soit madame de Vernon, vous la plaindriez d’être condamnée à ne jamais revoir sa fille ; et si, comme je n’en doute pas, madame de Mondoville croit de son devoir de s’y refuser, quel scandale que la séparation de Léonce avec sa femme pour une telle cause ! C’est vous seule, madame, qui pouvez encore être l’ange sauveur de cette famille, l’ange sauveur de celle même qui vous a cruellement persécutée.

Je ne me permettrai pas de vous dicter la conduite que vous devez tenir ; j’ai dû seulement vous instruire des dispositions de Léonce. Il est impossible, quand il saura tout, de se flatter de l’apaiser ; il est malheureusement très-emporté, et jamais, il faut en convenir, jamais un homme n’a été offensé à ce point dans son amour et dans son caractère. Jugez vous-même, madame, de ce qu’il importe de cacher à Léonce, jugez des sacrifices que votre âme généreuse est capable de faire ! Je ne vous demande point de me pardonner, car je crois vous honorer par ma sincérité autant que vous méritez de l’être, et mon admiration respectueuse donne beaucoup de force à cette expression.

LETTRE XXXV. — RÉPONSE DE DELPHINE À M. BARTON.
Paris, 8 novembre.

Vous ne savez pas quelle douleur vous m’avez causé ! Je croyais pouvoir le détromper, je croyais toucher au moment de recouvrer toute son estime ; vous m’avez montré mon devoir, le véritable devoir, celui qui a pour but d’épargner des souffrances aux autres : je l’ai reconnu, je m’y soumets, je n’écrirai point. Mais, souffrez que je le dise, pour la première fois j’ai senti que je m’élevais jusqu’à la vertu : oui, c’est de la vertu qu’un tel sacrifice, et ce qu’il me coûte mérite le suffrage d’un honnête homme et la pitié du ciel. Il attend ma réponse pour un jour fixe, pour le vingt-cinq novembre. Mon silence, dit-il, sera pour lui l’aveu de la perfidie dont on m’avait accusée ; ne pouvez-vous lui écrire que ce silence est un mystère que je ne veux jamais éclaircir, mais qu’il ne doit lui donner aucune interprétation décisive ? ne