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DELPHINE.

j’étais dans le délire : ce n’est pas que rien justifie Delphine des torts dont je l’accuse ; mais, pour tout autre que moi, elle est, elle doit être un ange. Si vous saviez comme on parle d’elle ici ! Elle n’y a demeuré que deux mois ; mais n’est-ce pas assez pour qu’on ne puisse pas l’oublier ?

J’essayerai demain de pénétrer jusqu’à madame d’Ervins : elle ne voit personne ; elle est résolue, m’a-t-on appris, à se faire religieuse ; elle doit remettre sa fille à madame d’Albémar. Cet enfant parle de Delphine avec transport ; je verrai au moins cet enfant. Ne trouvez-vous pas qu’il y a un mystère singulier dans tout ?

Il me semble que dans votre dernière lettre vous vous exprimez moins bien sur madame d’Albémar : vous avez eu tort de recevoir aucune impression par ce que je vous ai écrit ; je n’en dois faire sur personne. Conservez votre admiration pour madame d’Albémar, je serais malheureux de penser que je l’ai diminuée. Il circule des bruits sur madame d’Ervins, mais c’est impossible ; la première fois qu’on me les a dits, j’ai tressailli ; depuis, on les a démentis, tout à fait démentis. Adieu, mon cher maître ; j’irai voir madame d’Ervins. D’où vient que cette idée me bouleverse ? Elle est l’amie de Delphine. M. de Serbellane est allé en Toscane par mer ; il ne voulait donc pas venir en France ?… Je ne sais où j’en suis.

LETTRE XXX. — LÉONCE À DELPHINE.
Bordeaux, ce 22 octobre.

Delphine, ô femme autrefois tant aimée ! un enfant m’a-t-il révélé ce que la perfidie la plus noire avait trouvé l’art de me cacher ? La voix des hommes vous avait accusée ; la voix d’un enfant, cette voix du ciel, vous aurait-elle justifiée ? Écoutez-moi : voici l’instant le plus solennel de votre vie. Je suis lié pour toujours, je le sais ; il n’est plus de bonheur pour moi : mais si j’étais seul coupable, et que Delphine fût innocente, mon cœur aurait encore du courage pour souffrir. Hier j’ai été chez madame d’Ervins : quelque irrité que je fusse, je voulais entendre parler de vous par ceux qui vous aiment. Madame d’Ervins, toujours livrée aux exercices de piété, a refusé de me voir, lsaure, sa fille, jouait dans le jardin ; je me suis approché d’elle : on m’avait dit qu’elle vous aimait à la folie ; je l’ai fait parler de vous, et j’ai vu que l’impression que