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DEUXIÈME PARTIE.

d’amour et de repentir ? « J’ai apaisé le frère de M. d’Ervins, me dit-elle ; maintenant qu’il sait ma résolution, il n’a plus de haine contre moi ; cette résolution met la paix entre les ennemis ; Dieu qui l’inspire la rend efficace : mais vous à qui je dois tant, vous qui avez peut-être fait pour moi plus de sacrifices que vous ne m’en avez avoué, vous avez failli me perdre dans un moment de bonté ; vous aviez encouragé M. de Serbellane à revenir ; je l’ai appris à temps, j’ai pu le lui défendre ; il sera instruit que, s’il me voyait, il ne pourrait me faire changer de dessein, mais qu’il renouvellerait, par son retour, le courroux des parents de M. d’Ervins, et qu’il perdrait ma fille, en déshonorant sa mère. »

Je voulus l’interrompre, elle m’arrêta. « Demain, me dit-elle, venez me chercher en vous levant, nous nous promènerons ensemble ; je vous dirai tout ce qui se passe en moi : je n’en ai pas la force ce soir ; il me semble que, quand la nuit est venue, la présence d’un Dieu protecteur se fait moins sentir, et j’ai besoin de son appui pour annoncer avec courage mes résolutions. À demain donc, avec le jour, avec le soleil. »

Quand elle m’eut quittée, je réfléchis douloureusement sur les obstacles que sa ferveur religieuse opposerait à mes efforts, et je plaignis le triste destin de deux nobles créatures, Thérèse et son ami. C’était moi, moi si malheureuse, qui devais essayer de soutenir le courage de madame d’Ervins, et mon cœur au désespoir était chargé de la consoler ! Ah ! combien souvent dans la vie cet exemple s’est présenté, et que d’infortunés ont encore trouvé l’art de secourir des infortunés comme eux !

J’entrai chez Thérèse de très-bonne heure, et je la trouvai tout habillée, priant dans son cabinet devant un crucifix qu’elle y a placé, et aux pieds duquel elle a déjà répandu bien des larmes. Elle se leva en me voyant, ouvrit son bureau, et me dit : « Tenez, voilà toutes les lettres de M. de Serbellane que j’ai reçues depuis deux mois, je vous les remets avec son portrait ; il ne vous est point ordonné à vous de les brûler, conservez-les pour qu’elles me survivent et que rien de lui ne périsse avant moi. » J’insistai pour qu’elle connût la lettre que m’avait écrite M. de Serbellane ; en la lisant, elle rougit et pâlit plusieurs fois. « Il m’a fait dans ses lettres, reprit-elle l’offre dont il vous parle ; il me l’a faite avec une expression bien plus vive, bien plus sensible encore, et cependant ma résolution est restée inébranlable. Descendons dans le jardin, je ne suis pas bien ici ; l’air me donnera des forces, il m’en faut