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V
SUR DELPHINE.

séduisante ne laisse après elle que sécheresse et mécontentement de soi, cette femme à la conduite si compliquée et à la conversation si simple, qui a de la douceur dans le discours et un air de rêverie dans le silence, qui n’a d’esprit que pour causer et non pas pour lire ni pour réfléchir, et qui se sauve de l’ennui par le jeu, etc., etc., sans aller si loin, il nous a été impossible de ne pas saisir du moins l’application d’un trait plus innocent : « Personne ne sait mieux que moi, dit en un endroit madame de Vernon (lettre XXVIII, 1re partie), faire usage de l’indolence ; elle me sert à déjouer naturellement l’activité des autres… Je ne me suis pas donné la peine de vouloir quatre fois en ma vie, mais quand j’ai tant fait que de prendre cette fatigue, rien ne me détourne de mon but, et je l’atteins, comptez-y. » Je voyais naturellement dans cette phrase un trait applicable à l’indolence habile du personnage tant prôné, lorsqu’un soir j’entendis un diplomate spirituel, à qui l’on demandait s’il se rendait bientôt à son poste, répondre qu’il ne se pressait pas, qu’il attendait : « J’étais bien jeune encore, ajouta-t-il, quand M. de Talleyrand m’a dit, comme instruction essentielle de conduite : N’ayez pas de zèle ! » N’est-ce pas là tout juste le principe de madame de Vernon ?

Puisque nous en sommes à ce qu’il peut y avoir de traits réels dans Delphine, n’en oublions pas un, entre autres, qui révèle à nu l’âme dévouée de madame de Staël. Au dénoûment de Delphine (je parle de l’ancien dénoûment, qui reste le plus beau et le seul), l’héroïne, après avoir épuisé toutes les supplications auprès du juge de Léonce, s’aperçoit que l’enfant du magistrat est malade, et elle s’écrie d’un cri sublime : « Eh bien ! votre enfant, si vous livrez Léonce au tribunal, votre enfant, il mourra ! il mourra ! » Ce mot de Delphine fut réellement prononcé par madame de Staël, lorsqu’à la suitea.