ma sœur, quoique je donnasse ma vie pour obtenir encore une heure pendant laquelle je pusse me persuader qu’il m’aime et qu’il n’est pas l’époux de Mathilde.
C’est demain que Léonce doit venir ! J’ai eu la force de m’occuper encore aujourd’hui de faire avoir à M. de Serbellane un sauf-conduit pour rentrer en France. Il m’avait écrit pour m’en conjurer, et j’ai trouvé son désir bon et raisonnable ; car je crois comme lui qu’il n’existe aucun autre moyen d’empêcher Thérèse de se faire religieuse. Elle ne m’a point encore confié cette funeste résolution ; mais M. de Serbellane m’a mandé qu’il la sait d’elle, et toutes mes observations me confirment ce qu’il m’écrit. J’ai donc été à Paris ce matin pour voir l’envoyé de Toscane. Il était absent ; mais comme il doit passer la soirée chez madame de Vernon, je l’ai priée de lui remettre une lettre de moi qui contient ma demande pour M. de Serbellane, et de l’appuyer en la lui donnant. Madame de Vernon réussira tout aussi bien que moi dans cette affaire ; et, troublée comme je le suis, il m’était impossible de paraître au milieu du monde.
Je suis donc revenue ce soir même à Bellerive ; il est déjà tard ; le jour qui précède demain va finir ; l’agitation de mon cœur est violente, et cependant je n’ai pas d’incertitude ; il ne peut m’arriver rien de nouveau que plus ou moins de douleur dans un adieu sans espoir. Ma sœur, du haut du ciel, votre frère, mon protecteur, veille sur moi ; il ne souffrira pas que Delphine infortunée, mais pure, mais irréprochable, déshonore ses soins, ses bontés, son affection, en se permettant des sentiments coupables ! Je ne sais ce que j’éprouve maintenant dans cette émotion de l’attente qui suspend toutes les puissances de l’âme ; mais quand Léonce sera venu, mon âme se relèvera, et dut la vertu m’ordonner de le voir demain pour la dernière fois de ma vie, Louise, j’obéirai.
J’avais tort, ma sœur, véritablement tort de m’occuper de la
conduite que je tiendrais avec M. de Mondoville ; il se préparait
a m’en épargner le soin ; il ne voulait sans doute que m’éprouver,
savoir si je serais assez faible pour consentir à le revoir ;
il se jouait de mon cœur avec insulte : il est parti la nuit dernière
pour l’Espagne ; la nuit dernière ! et c’était aujourd’hui…