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DELPHINE.

LETTRE XXI. — DELPHINE À LÉONCE.
Ce 17 septembre.

Me pardonner ! Je vous verrai, monsieur, quoique votre billet ne mérite peut-être pas cette réponse ; j’ai besoin, pour ma propre dignité, d’une explication avec vous. Je dois consacrer ce jour tout entier à des devoirs d’amitié que vous ne m’apprendrez point à négliger ; mais demain, choisissez l’instant que vous préférerez, je vous forcerai, je l’espère, à me rendre toute l’estime que vous me devez ; c’est dans ce but seul que je consens à vous entretenir. Je ne puis concevoir ce que vous voulez me demander sur mon avenir, il vous est facile de le deviner : je vais passer le reste de mes jours avec ma belle-sœur, et je n’ai plus dans ce monde, où ma confiance a été trompée, ni un intérêt ni un espoir de bonheur.

LETTRE XXII. — DELPHINE À MADEMOISELLE D’ALBÉMAR.
Ce 17 septembre au soir.

Léonce m’a écrit pour me demander de me voir ; je n’ai point hésité à y consentir ; je dirai plus, j’ai regardé comme une faveur du ciel l’occasion qui m’était offerte de connaître enfin les torts dont il m’accuse et d’y répondre avec vérité, peut-être avec hauteur.

Ne vous livrez, ma sœur, à aucune inquiétude, en apprenant que je n’ai pas cédé à vos conseils. Léonce n’est point à craindre pour moi, quels que soient les sentiments qu’il m’exprime ; s’il voulait faire renaître dans mon âme la passion qui m’attachait à lui, s’il voulait me rendre méprisable par cet amour même dont il aurait pu faire ma gloire et son bonheur…

« Non, Léonce, non, celle que vous n’avez pas jugée digne d’être votre femme n’accepterait pas vos regrets si vous en éprouviez ; je ne suis pas, comme vous, impitoyable envers des torts de convenance, des fautes apparentes, des actions condamnées par la société, mais que le cœur justifie ; je vous montrerai que la véritable vertu a d’autant plus de force sur mon âme que j’abjure tout autre empire. Cette Delphine que vous croyez si faible, si entraînée, sera courageuse contre l’affection la plus passionnée de son cœur, contre vous… » Oui, je le serai,