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DELPHINE.

si rigide et si fier ! Quelle perplexité cruelle ! comment jamais en sortir !

Ne me dites pas que tout est fini, qu’il est marié, que je dois renoncer à son opinion comme à son amour ; son estime est encore mon seul bien sur la terre ; il a besoin des suffrages de tous, je ne veux que le sien, mais il faut que je l’emporte dans ma retraite : si je ne l’obtenais pas, vous me verriez poursuivie par une agitation que rien ne pourrait calmer ; je n’aurais pas le repos que peut donner le malheur même, quand il n’y a plus rien à faire ni rien à vouloir. Je ne me résignerais jamais ; et, en expirant, ma dernière parole serait encore pour me justifier auprès de lui.

LETTRE XV. — LÉONCE À M. BARTON.
Ce 4 septembre 1790.

Je vous envoie un courrier qui a ordre de revenir dans vingt-quatre heures avec une lettre de vous. Vous ne répondez pas, depuis huit jours, aux lettres que je vous ai écrites sur ce qui s’était passé entre madame d’Albémar et moi. Quel est le motif de votre silence ? pourquoi ne m’avez-vous pas écrit ? me trouvez-vous injuste envers Delphine ? et si vous le croyez, juste ciel ! pensez-vous que ce serait me faire du mal que de me le dire ?

LETTRE XVI. — RÉPONSE DE M. BARTON À LÉONCE.
Mondoville, 6 septembre.

Vous avez eu tort d’attacher tant d’importance à un silence de quelques jours : je souffre toujours de mon bras, et j’ai de la peine à écrire jusqu’à ce que je sois guéri.

Vous êtes l’époux de mademoiselle de Vernon : c’est une personne très-vertueuse, uniquement attachée à vous ; il me semble que vous ne devez plus vous occuper des circonstances qui ont précédé votre mariage. Je ne puis pas les approfondir de loin ; ce que vous m’en avez dit ne suffit pas pour juger une femme à qui j’ai voué de l’estime et de l’attachement ; mais ce dont je me crois sûr, c’est qu’elle-même à présent désire que vous soyez occupé de votre bonheur et de celui de Mathilde, et que vous oubliiez entièrement l’affection que vous avez pu concevoir l’un pour l’autre quand vous étiez libre.