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OBSERVATIONS

naturel, aussi réel que je le voudrais, et que madame de Staël me le présageait dans l’Essai sur les Fictions. Il a quelques-uns des défauts de la Nouvelle Héloïse, et cette forme par lettres y introduit trop de convenu et d’arrangement littéraire. Un des inconvénients des romans par lettres, c’est de faire prendre tout de suite aux personnages un ton trop d’accord avec le caractère qu’on leur attribue. Dès la première lettre de Mathilde, il faut que son âpre et sec caractère se dessine ; la voilà toute roide de dévotion. De peur qu’on ne s’y méprenne, Delphine, en lui répondant, lui parle de cette règle rigoureuse, nécessaire peut-être à un caractère moins doux ; choses qui ne se disent ni ne s’écrivent tout d’abord entre personnes façonnées au monde comme Delphine et Mathilde. Léonce, dès sa première lettre à M. Barton, disserte en plein sur le préjugé de l’honneur, qui est son trait distinctif. Ces traits-là, dans la vie, ne se dessinent qu’au fur et à mesure, et successivement par des faits. Le contraire établit, au sein du roman le plus transportant, un ton de convention, de genre ; ainsi, dans la Nouvelle Héloïse, toutes les lettres de Claire d’Albe sont forcément rieuses et folâtres ; l’enjouement, dès la première ligne, y est de rigueur. En un mot, les personnages des romans par lettres, au moment où ils prennent la plume, se regardent toujours eux-mêmes, de manière à se présenter au lecteur dans des attitudes expressives et selon les profils les plus significatifs ; cela fait des groupes un peu guindés, classiques, à moins qu’on ne se donne carrière en toute lenteur et profusion, comme dans Clarisse. Ajoutez la nécessité si invraisemblable, et très-fâcheuse pour l’émotion, que ces personnages s’enferment pour écrire lors même qu’ils n’en ont ni le temps ni la force, lorsqu’ils sont au lit, au sortir d’un évanouissement, etc., etc. Mais ce défaut de forme une fois admis pour Delphine, que de finesse et de passion