Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/128

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
101
PREMIÈRE PARTIE.

qu’un domestique de madame de Vernon m’apportait un billet d’elle, et demandait à me parler ; je sors, et je vois, jugez de ma terreur, je vois M. d’Ervins ! Il était déjà dans la chambre voisine, et, se débarrassant d’une redingote à la livrée des gens de madame de Vernon dont il s’était revêtu pour se déguiser, il s’avance tout à coup, malgré mes efforts, se précipite sur la porte de mon salon, l’ouvre, et trouve M. de Serbellane à genoux devant Thérèse, la tête baissée sur sa main. Thérèse reconnaît son mari la première, et tombe sans connaissance sur le plancher. M. de Serbellane la relève dans ses bras avant d’avoir encore aperçu M. d’Ervins, et croyant que la douleur des adieux était la seule cause de l’état où il voyait Thérèse. M. d’Ervins arrache sa femme des bras de son amant, et la jette sur une chaise en l’abandonnant à mes secours ; il se retourne ensuite vers M. de Serbellane et tire son épée sans remarquer que son adversaire n’en avait pas. Les cris qui m’échappèrent attirèrent mes gens ; M. de Serbellane leur ordonna de s’éloigner, et s’adressant à M. d’Ervins, il lui dit : « Vous devez croire à madame d’Ervins, monsieur, des torts qu’elle n’a pas ; je la quittais, je la priais de recevoir mes adieux. »

M. d’Ervins alors entra dans une colère dont les expressions étaient à la fois insolentes, ignobles et furieuses. À travers tous ses discours on voyait cependant la ferme résolution de se battre avec M. de Serbellane. J’essayai de persuader à M. d’Ervins que cette scène pourrait être ignorée de tout le monde ; mais je compris par ses réponses une partie de ce que j’ai su depuis avec détail : c’est que M. de Fierville savait tout, avait tout dit, et que cette raison, plus qu’aucune autre encore, animait le courage de M. d’Ervins.

M. de Serbellane souffrait de la manière la plus cruelle ; je voyais sur son visage le combat de toutes les passions généreuses et fières ; il était immobile devant une fenêtre, mordant ses lèvres, écoutant en silence les folles provocations de M. d’Ervins, et regardant seulement quelquefois le visage pâle et mourant de Thérèse, comme s’il avait besoin de trouver dans ce spectacle des motifs pour se contenir.

Il me vint dans l’esprit, après avoir tout épuisé pour calmer M. d’Ervins, de détourner sa colère sur moi, et j’essayai de lui dire que c’était moi qui avais engagé madame d’Ervins à venir : je commençai à peine ces mots, que se rappelant ce qu’il avait oublié, que le rendez-vous s’était donné dans ma maison, il se permit sur ma conduite les réflexions les plus insultantes. M. de Serbellane alors ne se contint plus, et, saisissant la main de