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PREMIÈRE PARTIE.

des injustes préventions qu’on vous a données contre madame d’Albémar.

On vous a dit qu’elle était légère, imprudente, coquette, philosophe ; tout ce qui vous déplaît en tout genre, on l’a réuni sur Delphine. Ne pouvez-vous donc pas, ma mère, en croire votre fils autant que madame du Marset ? Delphine a été élevée dans la solitude, par des personnes qui n’avaient point la connaissance du monde, et dont l’esprit était cependant fort éclairé ; elle ne vit à Paris que depuis un an, et n’a point appris à se défier des jugements des hommes. Elle croit que la morale suffit à tout et qu’il faut dédaigner les préjugés reçus, les convenances admises, quand la vertu n’y est point intéressée ! Mais le soin de mon bonheur la corrigera de ce défaut ; car ce qu’elle est avant tout, c’est bonne et sensible ! elle m’aime ; que n’obtiendrai-je donc pas d’elle, et pour vous et pour moi !

On vous a parlé de la supériorité de son esprit ; et comme à ma prière vous avez consenti à venir vivre chez moi l’année prochaine, vous craignez de rencontrer dans votre belle-fille un caractère despotique. Mathilde, dont l’esprit est borné, a des volontés positives sur les plus petites circonstances de la vie domestique ; Delphine n’a que deux intérêts au monde, le sentiment et la pensée : elle est sans désir comme sans avis sur les détails journaliers, et s’abandonne, avec joie à tous les goûts des autres ; elle n’attache du prix qu’à plaire et à être aimée. Vous serez l’objet continuel de ses soins les plus assidus : je la vois avec madame de Vernon ; jamais l’amour filial, l’amitié complaisante et dévouée ne pourraient inspirer une conduite plus aimable. Ah ! ma mère, c’est votre bonheur autant que le mien que j’assure en épousant madame d’Albémar.

Vous n’avez pas réfléchi combien vous auriez de peine à ménager l’amour-propre d’une personne médiocre : tout est si doux, tout est si facile avec un être vraiment supérieur ! Les opinions même de Delphine sont mille fois plus aisées à modifier que celles de Mathilde. Delphine, ne peut jamais craindre d’être humiliée ; Delphine ne peut jamais éprouver les inquiétudes de la vanité ; son esprit est prêt à reconnaître une erreur, accoutumé qu’il est à découvrir tant de vérités nouvelles, et son cœur se plaît à céder aux lumières de ceux qu’elle aime. On vous a dit encore, j’ai honte de l’écrire, qu’elle était fausse et dissimulée ; que j’ignorais sa vie passée et ses affections présentes : sa vie passée ! tout le monde la sait ; ses affections présentes ! que vous a-t-on mandé sur M. de Serbellane ?