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DELPHINE.

santeries me firent tout à coup comprendre qu’il avait vu sortir M. de Serbellane, à trois heures du matin, de chez moi, le jour du bal. J’en éprouvai une douleur insensée ; je ne voyais aucun moyen de me justifier de cette accusation ; je frémissais de l’idée que Léonce aurait pu l’entendre. M. de Serbellane arriva dans ce moment ; il venait de chez moi, il me le dit. M. de Fierville sourit encore. Ce sourire me parut celui de la malice infernale ; mais, au lieu de m’exciter à me défendre, il me glaça d’effroi et je reçus M. de Serbellane avec une froideur inouïe. Il en fut tellement étonné, qu’il ne pouvait y croire, et son regard semblait me dire : Mais où êtes-vous ? mais que vous est-il arrivé ? Sa surprise me rendit à moi-même. Non, Léonce, me répétai-je tout bas, vous pouvez tout sur moi ; mais je ne vous sacrifierai pas la bonté, la généreuse, bonté, le culte de toute ma vie. Je me décidai alors à prendre M. de Serbellane à part, et, lui rendant compte en peu de mots de ce qui s’était passé, je lui dis qu’une lettre de Thérèse l’attendait chez lui, et il partit-pour la lire.

Après cet acte de courage et d’honnêteté, car c’était moi que, je sacrifiais, je voulus tenter de ramener M. de Fierville ; je me demandai pourquoi je ne pourrais pas me servir de mon esprit pour écarter des soupçons injustes : mais M. de Fierville était calme, et j’étais émue ; mais toutes mes paroles se ressentaient de mon trouble, tandis qu’il acérait de sang-froid toutes les siennes. J’essayai d’être gaie pour montrer combien j’attachais peu de prix à ce qu’il croyait important ; mes plaisanteries étaient contraintes, et l’aisance la plus parfaite rendait les siennes piquantes. Je revins au sérieux, espérant parvenir de quelque manière à le convaincre ; mais il repoussait par l’ironie l’intérêt trop vif que je ne pouvais cacher. Jamais je n’ai mieux éprouvé qu’il est de certains hommes sur lesquels glissent, pour ainsi dire, les discours et les sentiments les plus propres à faire impression ; ils sont occupés à se défendre de la vérité par le persiflage ; et comme leur triomphe est de ne pas vous entendre, c’est en vain que vous vous efforcez d’être compris.

Je souffrais beaucoup cependant de mon embarrassante situation, lorsque madame de Vernon vint me délivrer ; elle fit quelques plaisanteries à M. de Fierville qui valaient mieux que les siennes, et l’emmena dans l’embrasure de la fenêtre, en me disant tout bas qu’elle allait le détromper sur tout ce qui m’inquiétait, si je la laissais seule avec lui. Je ne puis vous dire, ma chère Louise, combien je fus touchée de cette action, de ce secours accordé dans une véritable détresse. Je serrai la