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PREMIÈRE PARTIE.

quand elle saura tout, quand je lui aurai offert de quitter Paris, d’aller m’enfermer dans une retraite pour le reste de mes jours, afin d’y conserver sans crime le souvenir de Léonce, elle prononcera sur mon sort, je l’en ferai l’arbitre ; et, quel que soit le parti qu’elle prenne, je n’aurai plus du moins à rougir devant elle. Ma chère Louise, je, goûte quelque calme depuis que je n’hésite plus sur la conduite que je dois suivre.

LETTRE XXVII. — LÉONCE À M. BARTON.
Paris, ce 29 juin.

Mon sort est décidé, mon cher maître, jamais un outre objet que Delphine n’aura d’empire sur mon cœur : hier au bal, hier elle s’est presque compromise pour moi. Ah ! que je la remercie de m’avoir donné des devoirs envers elle ! je n’ai plus de doutes, plus d’incertitudes ; il ne s’agit plus que d’exécuter ma résolution, et je ne vous consulte que sur les moyens d’y parvenir.

Je serai le 4 juillet à Mondoville ; nous concerterons ensemble ce qu’il faut écrire à ma mère ; madame de Vernon ne m’a pas encore dit un mot du mariage projeté ; à mon retour de Mondoville, je lui parlerai le premier : c’est une femme d’esprit, elle est amie de Delphine ; dès qu’elle sera bien assurée de ma résolution, elle la servira. Je ne craignais que la force des engagements contractés ; ma mère a évité de me répondre sur ce sujet ; il faut qu’elle n’y croie pas son honneur intéressé ; elle n’aurait pas tardé d’un jour à me donner un ordre impérieux, si elle avait cru sa délicatesse compromise par ma désobéissance. Elle n’insiste dans ses lettres que sur les prétendus défauts de madame d’Albémar : on lui a persuadé qu’elle était légère, imprudente ; qu’elle compromettait sans cesse sa réputation, et ne manquait pas une occasion d’exprimer les opinions les plus contraires à celles qu’on doit chérir et respecter. C’est à vous, mon cher Barton, de faire connaître madame d’Albémar à ma mère : elle vous croira plus que moi.

Sans doute Delphine se fie trop à ses qualités naturelles, et ne s’occupe pas assez de l’impression que sa conduite peut produire sur les autres. Elle a besoin de diriger son esprit vers la connaissance du monde, et de se garantir de son indifférence pour cette opinion publique sur laquelle les hommes médiocres ont au moins autant d’influence que les hommes supérieurs. Il est possible que nous ayons des défauts entièrement opposés ; eh bien ! à présent je crois que notre bonheur et nos vertus