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tendre, d’où, vient cette langueur qui s’empare des sens, ce voile léger et nuageux qui couvre les objets à nos regards, cette inquiétude de la vie qui s’apaise, et ce sentiment de la beauté qui nous remplit d’admiration pour la nature ?

« De quel enchantement la créature, semblable aux dieux, ne peut-elle pas jouir sur la terre ? Apollon, tu es le dieu du bonheur, et neuf sœurs, sur les marches de ton trône, se sont partagé les merveilles du monde. Oui, j’ai senti le charme de l’harmonie ; oui, l’art de peindre a frappé mes regards ; la danse légère a comme attiré mon âme sur ses traces fugitives ; mais mon culte le plus fidèle, ô divine poésie ! c’est toi qui l’as obtenu.

« Apollon, n’es-tu pas jaloux d’Homère ? et n’as-tu pas quelquefois regretté d’avoir versé sur un mortel des dons qui l’égaloient aux dieux ? Les guerriers qu’il a chantés ont puisé dans son poëme plus de gloire que dans la coupe même de la vie ; leurs ombres errantes répètent ses chants dans les vallons de l’Élysée, et rêvent ainsi le charme de la douce et trompeuse existence. Achille ne regrette point d’avoir péri dans sa jeunesse. Homère ne l’a-t-il pas revêtu de l’avenir ? ne