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DE L’ACTION NÉCESSAIRE DE DIEU

de ce qu’il n’y a pas en dehors de lui de cause externe qui puisse le contraindre ou exercer une pression sur lui : ce qui ne peut se rencontrer dans les choses créées.

Contre ce que nous venons de dire, on argumente de cette manière : le bien n’est bien que parce que Dieu l’a voulu, et Dieu pourrait faire que le mal devint le bien. C’est comme si l’on disait que Dieu est Dieu parce qu’il veut être Dieu, et qu’ainsi il pourrait ne pas être Dieu, ce qui est absurde. En outre, lorsque les hommes font une action et qu’on leur demande pourquoi ils la font, ils répondent : Parce que la justice l’exige. Si on leur demande : Pourquoi la justice ou plutôt la cause première de toutes les choses justes exige-t-elle telles actions ? ils répondent : Parce que la justice elle-même le veut. Mais, je le demande, la justice pourrait-elle renoncer à être juste ? Nullement, car elle ne serait plus justice ; et quoique ceux qui disent que Dieu fait toutes les choses qu’il fait parce qu’elles sont bonnes en elles-mêmes pensent peut-être différer de nous, ils n’en diffèrent guère en réalité, puisqu’ils supposent quelque chose avant Dieu, qui l’oblige et l’enchaîne, et en vertu de quoi il désire que telle chose soit bonne, telle autre juste.

Enfin une nouvelle question s’élève : en supposant que toutes choses aient été créées autrement et disposées et prédestinées éternellement dans un autre ordre qu’elles ne le sont, Dieu serait-il également parfait ? À quoi il faut répondre que si la nature avait été créée de toute éternité autre qu’elle n’est, alors, d’après l’opinion de ceux qui attribuent à Dieu un entendement et une volonté, il s’ensuivrait que Dieu aurait eu un autre entendement et une autre volonté, par lesquels il eût fait les choses autres qu’il ne les a faites, et ainsi Dieu serait maintenant autre qu’il n’eût