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DIEU, L’HOMME ET LA BÉATITUDE

éternité, éternité qui n’a ni avant ni après. D’où il suit certainement que les choses n’ont pu être prédestinées par Dieu à l’avance autrement qu’elles ne le sont de toute éternité, et que Dieu ne pouvait être avant cette prédestination, ni sans elle. En outre, si Dieu pouvait omettre quelque chose, cela devrait venir soit d’une cause qui est en lui, soit sans cause ; si c’est le premier qui est vrai, alors ce serait encore pour lui une nécessité d’omettre cette action ; si c’est le second, ce serait une nécessité de ne pas l’omettre : ce qui est évident par soi-même.

De plus, c’est une perfection dans une chose créée d’être, et d’être produite par Dieu, car, de toutes les imperfections, la plus grande est de ne pas être ; et comme le salut et la perfection de toutes choses sont la volonté de Dieu, si Dieu ne voulait pas l’existence de telle chose, il s’ensuivrait que le salut et la perfection de cette chose consisteraient à ne pas être, ce qui est contradictoire ; c’est pourquoi nous nions que Dieu puisse omettre de faire ce qu’il fait, ce que quelques-uns prendront pour une imperfection et un blasphème envers Dieu ; erreur qui vient seulement de ce qu’ils ne voient pas en quoi consiste la vraie liberté, laquelle ne peut en aucune façon consister, comme ils se l’imaginent, en ce que l’on pourrait agir ou ne pas agir à son gré ; mais, au contraire, la vraie liberté n’est rien autre chose que la première cause, qui n’est nullement pressée ou contrainte par aucune cause extérieure, et qui, par sa seule perfection, est cause de toute perfection : par conséquent, si Dieu pouvait omettre telle action, il ne serait pas parfait : car pouvoir omettre de faire dans ses œuvres quelque bien ou perfection est incompatible avec sa nature, puisque cela impliquerait quelque défaut. Donc, que Dieu soit la seule cause libre, c’est ce qui résulte non-seulement de ce que nous avons dit, mais encore