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DIEU, L’HOMME ET LA BÉATITUDE

peut-il être cause éloignée[1] ? car c’est ce qui parait en contradiction avec une cause immanente.

Théophile. — En disant que Dieu est une cause éloignée, je n’entends pas parler[2] de ces choses que Dieu produit sans aucun autre moyen que sa propre existence : je n’ai pas voulu entendre ce terme dans un sens absolu ; ce que tu aurais pu facilement comprendre par mes propres paroles lorsque j’ai dit que l’on ne peut le nommer cause éloignée qu’à un certain point de vue[3].

Érasme. — Je comprends assez ce que tu veux me dire ; mais tu as dit en même temps, je m’en souviens, que l’effet d’une cause intérieure (immanente) demeure tellement uni avec sa cause qu’il ne fait qu’un tout avec elle. S’il en est ainsi, il me semble que Dieu ne peut pas être cause immanente ; si, en effet, Dieu et ce qui est produit par Dieu ne font qu’un seul tout, tu attribues à Dieu plus d’essence à un moment qu’à un autre. Délivre-moi de ce doute, je te prie.

Théophile. — Pour échapper à cet embarras, écoute bien ce que j’ai à te dire. L’essence d’une chose n’est

  1. Un des deux manuscrits porte : cerder (cause première prior) ; l’autre vorder (cause éloignée, ulterior ou remota, en opposition à la cause prochaine, proxima). Nous préférons, avec le traducteur allemand cette dernière leçon, où paraît, en effet, plus clairement une sorte d’opposition apparente avec la cause immanente. (P. J.)
  2. La négation n’est ni dans l’un, ni dans l’autre des deux manuscrits ; mais nous admettons comme vraisemblable la correction proposée par M. Sigwart, le texte littéral donnant un sens qui paraît contradictoire : « En disant que Dieu est une cause éloignée, je n’entends parler que des choses que Dieu produit immédiatement. » Au lieu de niet als, ne que, il y aurait simple niet, c’est-à-dire la particule négative pure et simple. (P. J.)
  3. Ce passage prouve manifestement que ce dialogue n’est qu’une suite, et suppose quelque chose d’antérieur car Th. n’a rien dit de semblable dans ce qui précède. (P. J.)