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DIEU, L’HOMME ET LA BÉATITUDE

si ce n’est ce qui produira ma perte ? car, si je m’unissais jamais à l’objet que tu m’as présenté, aussitôt je me verrais poursuivi par les deux ennemis du genre humain, la Haine et le Repentir, souvent même l’Oubli. C’est pourquoi je me tourne de nouveau vers la Raison, pour qu’elle continue à fermer la bouche à ces ennemis.

La Raison. — Ce que tu dis, ô Désir, à savoir qu’il y a plusieurs substances distinctes, je te dis à mon tour que cela est faux, car je vois clairement qu’il n’en existe qu’une, conservatrice des autres attributs. Que si maintenant tu veux appeler substances le corporel et l’intellectuel par rapport aux modes qui en dépendent, il faut aussi que tu les appelles modes par rapport à la substance dont ils dépendent ; car ils sont conçus par toi non comme existant par eux- mêmes, mais de la même manière que tu conçois vouloir, sentir, entendre, aimer comme les modes de ce que tu appelles substance pensante, à laquelle tu les rapportes comme ne faisant qu’un avec elle : d’où je conclus par tes propres arguments[1] que l’étendue infinie, la pensée infinie et les autres attributs (ou, comme tu t’exprimes, substances) infinis ne sont rien que les modes de cet être un, éternel, infini, existant par soi, en qui tout est un, et en dehors duquel aucune unité ne peut être conçue.

Le Désir. — Je vois une grande confusion dans ta manière de parler, car tu parais vouloir que le tout soit quelque chose en dehors de ses parties et sans elles, ce qui est absurde : car tous les philosophes accordent unanimement que le tout est une seconde intention[2] et qu’il n’est rien de réel dans la nature, en

  1. Le désir n’a rien dit de semblable dans ce qui précède. Il est donc vraisemblable que le texte est altéré ou mutilé. (P. J.)
  2. Seconde intention, notion abstraite. (P. J.)