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QU’EST-CE QUE DIEU ?

aucune chose ne peut être. En outre, si cet être est tout-puissant et parfait, il l’est parce qu’il est cause de soi-même, et non parce qu’il aurait produit un autre être ; et cependant celui-là serait en quelque sorte plus tout-puissant encore qui serait capable de produire et lui-même et autre chose[1]. De même, si vous l’appelez omniscient, il est nécessaire qu’il se connaisse lui-même ; et en même temps vous devez accorder que la connaissance qu’il a de lui-même est moindre que cette connaissance jointe à celle des autres substances : autant de contradictions manifestes. C’est pourquoi je conseille à l’Amour de s’en tenir à ce que je lui dis, sans aller chercher d’autres raisons.

L’Amour. — Que m’as-tu donc montré, ô infâme[2],

  1. Ce passage est difficile à comprendre. Je le traduis comme le traducteur allemand, qui suit littéralement en cet endroit le texte hollandais. Voici le sens que je donne à ce passage : Supposons un être parfait (Dieu) distinct de la substance pensante et de la substance étendue (de l’âme et du corps). Il devrait être tout-puissant considéré en lui-même et par sa propre essence, et sans considérer les êtres qu’il peut produire (lesquels ne font pas partie de son essence). Cependant un être qui se produirait soi-même et autre chose serait plus puissant encore : on pourrait donc concevoir un être plus puissant que le Tout-Puissant, à savoir celui dont l’essence comprendrait non-seulement Dieu, mais le monde. (P. J.)
  2. Le rôle des différents personnages dans ce dialogue n’est pas très-clair. Par exemple, ici, il semble que le Désir n’ait fait autre chose que confirmer les arguments de la Raison en faveur de l’unité de substance. Et cependant l’Amour s’emporte contre lui, et réclame le secours de la Raison, qui réfute le Désir. Celui-ci, à son tour, lorsqu’il reprend la parole, combat la Raison. Autant que je puis comprendre cette discussion confuse, dont le texte est peut-être mutilé, le Désir semble soutenir la cause d’un naturalisme inférieur contre l’unité panthéistique. C’est dans ce dialogue et dans le suivant que les critiques allemands ont trouvé des rapports frappants avec Giordano Bruno. Voir Sigwart (Dissertation), p. 113, et (Traduction) p. 168-199, Avenarius, p. 11-19. (P. J.)