Page:Spinoza - Court traité sur Dieu, l’homme et la béatitude.djvu/76

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
20
DIEU, L’HOMME ET LA BÉATITUDE

par rien, et dans lequel moi-même je suis compris ?

L’Entendement. — Pour moi, il n’y a que la nature elle-même, dans sa totalité, que je conçoive comme infinie et souverainement parfaite : si tu as des doutes à ce sujet, consulte la Raison, qui te répondra.

La Raison. — C’est, pour moi, une vérité indubitable ; car, si nous voulons limiter la nature, il faudrait (ce qui est absurde) la limiter par le Rien et attribuer à ce Rien l’unité, l’éternité, l’infinité. Nous évitons cette absurdité en posant la nature comme une unité éternelle, infinie, toute-puissante, à savoir la nature comme infinie, en qui tout est compris ; et c’est la négation de cette nature que nous appelons le Rien.

Le Désir. — À merveille ! cela s’accorde parfaitement avec l’unité et la variété qui se rencontrent dans la nature. En effet, je vois que la substance pensante n’a aucune communication avec la substance étendue, et que l’une limite l’autre. Or, si en dehors de ces deux substances vous en posez encore une troisième qui soit parfaite en soi, vous tombez dans d’inextricables difficultés. Car, si cette troisième substance est en dehors des deux autres, elle est privée de toutes les propriétés qui leur appartiennent, ce qui est impossible dans un Tout, en dehors duquel

    Verstand, Liefde, Reeden, Begeerlijkheid. Il est impossible dans la terminologie actuelle, de rendre ces deux mots Verstand et Reeden, de manière à faire comprendre leur différence clairement et sans malentendu. Reeden désigne la pensée discursive, particulièrement la faculté de raisonnement, Verstand exprime la pensée pure et immédiate. On pourrait être tenté de traduire le mot hollandais Verstand par Raison et Reeden par Entendement (en allemand Verstand), si on n’était pas habitué à considérer le raisonnement comme une fonction de la raison. » Nous ajouterons que nous employons de préférence en français cette traduction, parce que dans la langue philosophique française du XVIIe siècle, l’Entendement signifie d’ordinaire la pensée intuitive, et la Raison la pensée discursive. (P. J.)