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DIEU, L’HOMME ET LA BÉATITUDE

De tout cela il résulte la démonstration de cette seconde proposition, à savoir que la cause de l’idée que l’homme possède n’est pas sa propre imagination, mais une cause extérieure quelconque, qui le détermine à connaître ceci ou cela : et cette cause, c’est que ces choses existent réellement et sont plus pro-

    priétés empruntées à d’autres objets. Mais c’est ce qu’il est impossible de faire, si nous n’avons pas connu d’abord la chose même dont cette idée est abstraite. Donc, supposez que cette idée (l’idée de Dieu) soit une fiction, alors toutes les autres idées que nous avons doivent être des fictions. S’il en est ainsi, d’où vient donc la grande différence qui existe entre ces idées ? Car nous voyons qu’il en est quelques-unes qui ne peuvent être réelles : telles sont celles de tous les animaux fantastiques que l’on formerait à l’aide de deux natures réunies : par exemple, celle d’un animal qui serait à la fois un oiseau et un cheval, ou de tout être de ce genre, qui n’ont pas de place dans la nature, laquelle nous voyons composée toute différemment. Il est d’autres idées qui sont possibles, sans que leur existence soit nécessaire, mais dont l’essence néanmoins est nécessaire, quelle que soit d’ailleurs la réalité de leur objet : par exemple, l’idée du triangle, l’idée de l’amour dans l’âme sans le corps ; ces idées sont telles que, tout en admettant que c’est moi qui les ai créées, je suis forcé de dire qu’elles sont et seraient toujours les mêmes, lors même que ni moi, ni aucun homme n’y eût jamais pensé. Or, cela même prouve qu’elles n’ont point été créées par moi, et qu’elles doivent avoir, en dehors de moi, un sujet qui n’est pas moi et sans lequel elles ne peuvent être. En outre, il est une troisième idée, et celle-là est unique. Elle porte la nécessité d’existence avec elle, et non pas seulement, comme les précédentes, une existence possible ; car, pour celles-ci, leur essence était bien nécessaire, mais non leur existence ; au contraire, pour celle dont je parle, l’existence est aussi nécessaire que l’essence, et rien n’est sans elle (en is zonder dezelve niet). Je vois donc qu’aucune chose ne tient de moi vérité, essence ou existence. Car, comme nous l’avons montré pour les idées de la seconde classe, elles sont ce qu’elles sont sans moi, soit seulement quant à l’essence, soit quant à l’essence et à l’existence tout ensemble. Il en est de même et à plus forte raison de la troisième idée, qui est seule de son espèce. Et non-seule-