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XLVIII
INTRODUCTION

autre question curieuse, qui n’est pas d’habitude discutée par les philosophes et qui parait réservée à la théologie : c’est la question du diable. C’est une discussion qui a disparu de l’Éthique.

Spinoza se demande si le diable existe ou non et il soutient qu’il n’existe pas, par les raisons suivantes : 1o le diable n’existe pas : car, étant absolument contraire à Dieu et n’ayant rien de commun avec lui (qui est l’être), il ne peut être que le néant ; 2o le diable étant un être si misérable, au lieu de le haïr, comme on nous le recommande, il faudrait prier pour lui ; 3o la durée d’une chose est en raison de sa perfection ; et, dans une chose pensante en particulier, la perfection, et par conséquent la durée, dépend de son union avec Dieu : or le diable est une chose pensante ; mais, comme il n’a pas la moindre perfection, ni aucune union avec Dieu, il ne peut pas durer un seul instant ; 4o nous n’avons pas besoin du diable pour expliquer nos passions, puisque nous en avons donné la cause distincte.

Le bonheur et liberté. — En disant que le bonheur consiste dans la destruction des passions, nous n’avons pas voulu dire, comme les théologiens vulgaires, qu’il faille d’abord détruire les passions avant de s’élever à la connaissance et à l’amour de Dieu, car c’est comme si l’on disait qu’il faut détruire l’ignorance avant de s’élever à la science. C’est là peut-être, pour le dire en passant, une observation plus spécieuse que solide, car, s’il est vrai que l’on ne puisse détruire l’ignorance que par la science elle-même, il n’en est pas de même de l’erreur, que l’on peut écarter par le doute et la critique avant de s’élever à la science or les passions ont plus d’analogie avec l’erreur qu’avec l’ignorance : l’ignorance ressemblerait plutôt à l’apathie, qui ne peut être guérie que par une passion quelconque ; mais la passion étant un trouble, on peut commencer par écarter ce trouble, ne fût-ce que pour être tranquille et éviter la douleur ce qui rendrait alors le chemin libre à la connaissance de l’âme et de Dieu.