Page:Spinoza - Court traité sur Dieu, l’homme et la béatitude.djvu/50

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
XLV
INTRODUCTION

L’amour de Dieu nous donne le salut éternel, et par conséquent l’âme est immortelle. Comment faut-il entendre cette doctrine dans Spinoza ?

La durée d’un esprit, c’est-à-dire d’une idée, est relative à la durée de l’objet dont elle est l’idée. Or, tant que l’âme n’est autre chose que l’idée du corps et qu’elle s’unit au corps seul par l’amour, sa durée est relative à la durée du corps ; elle est donc mortelle comme lui. Mais l’âme n’est pas seulement l’idée du corps ; elle est aussi une idée de Dieu, et elle peut s’unir à lui. Or, en tant qu’elle s’unit à un objet éternel et immuable, elle devient elle-même éternelle et immuable comme lui ; et, par là, elle est non-seulement immortelle, mais éternelle.

Cette théorie est celle de l’Éthique, mais elle n’a pas encore la netteté et la précision qu’elle prendra dans l’Éthique ; on sait que, dans cet ouvrage, la doctrine de l’immortalité de l’âme repose sur la théorie des idées adéquates et des idées inadéquates ; théorie qui n’est qu’ébauchée ici. On ne voit pas bien, par exemple, comment l’âme qui, par définition, n’est encore que l’idée du corps, peut s’unir à Dieu ; si elle peut sortir du corps pour s’élever à Dieu, c’est qu’elle est autre chose qu’une idée du corps : qu’est-elle donc ? On ne le dit pas clairement. Dans l’Éthique, au contraire, Spinoza insiste beaucoup plus sur le côté éternel de l’âme, et sur son union avec Dieu.

Après avoir traité de l’amour de l’homme pour Dieu, il est à propos de traiter de l’amour de Dieu pour l’homme. Spinoza nie l’existence d’un tel amour, par les raisons suivantes : 1o On ne peut supposer en Dieu aucun mode de penser autre que celui qui est dans les hommes. Donc Dieu ne peut avoir d’amour, encore moins de haine pour les hommes. En outre, ce serait supposer le libre arbitre chez les hommes. 2o Il ne peut pas commencer à aimer (encore moins à haïr), déterminé à cela par des causes particulières.

Ce n’est pas à dire pour cela que Dieu soit indifférent aux hommes et qu’il les abandonne à eux-mêmes, car il est en eux, et c’est lui-même qui constitue leur