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XLI
INTRODUCTION

Le corps humain est un mode de l’étendue ; et comme l’étendue est un attribut, et que Dieu possède tous les attributs, il doit posséder celui-là. Mais de quelle étendue s’agit-il ? Serait-ce d’une étendue qui n’existerait qu’éminemment[1], comme on dit dans l’école ? Spinoza répond que non, car il n’y a pas deux étendues : c’est donc de l’étendue réelle, de celle qui est dans la nature, que notre corps fait partie.

Maintenant on remarquera que nous ne pouvons attribuer qu’à l’étendue les modes qui dérivent de l’étendue, et à la pensée les modes qui dérivent de la pensée ; chacun de ces modes ne peut avoir pour cause que l’attribut dont il est le mode.

Il s’ensuit que la pensée ne peut produire un mouvement, ni le mouvement une pensée. Le mouvement a pour cause le mouvement ; la pensée a pour cause la pensée.

Il semble donc résulter de là qu’il n’y a aucune espèce d’union possible entre les deux parties de l’homme. Cependant Spinoza, suivant ici les traces de Descartes, ne pousse pas encore jusqu’à l’extrémité, comme le fera Leibniz, l’idée de la séparation. Il accorde que si l’âme ne peut pas produire du mouvement, elle peut du moins changer la direction du mouvement. L’âme n’est autre chose que l’idée du corps ; et, unie avec celui-ci, elle constitue l’unité de l’homme ; c’est en tant qu’idée du corps qu’elle peut agir sur la détermination du mouvement : doctrine que Leibniz a combattue plus tard, soutenant que l’âme ne peut pas plus créer la direction du mouvement que le mouvement lui-même. Réciproquement, les modes de l’âme, tels que les passions, ne peuvent avoir pour cause que la pensée et non l’étendue.

Seulement, de la communication et action réciproque

  1. Par le mot eminenter, on entendait dans l’école, une manière d’exister supérieure et plus parfaite : par exemple, la science de l’écolier existe éminemment dans le maître. Spinoza paraît faire allusion ici à une doctrine semblable à celle de l’étendue intelligible de Malebranche ; mais celui-ci n’avait rien publié avant 1674, et le travail actuel doit être bien antérieur.