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XXXIX
INTRODUCTION

tingue pas les pensées et les mots que nous employons pour les exprimer. En changeant les mots ou les signes, nous pouvons faire sentir aux autres hommes autre chose que ce que nous sentons ; mais nous ne pouvons pas nous-même sentir autrement que nous le faisons réellement.

On objecte que si c’est la chose elle-même qui s’affirme ou se nie en nous, Il n’y a plus de faux, il n’y a plus d’erreur. Sans doute, il n’y a pas d’erreur absolue ; ce qui serait incompréhensible ; mais l’erreur vient de ce que nous ne voyons qu’une partie de tout, et que nous prenons cette partie pour le tout lui-même.

Enfin on invoque que nous pouvons, en fait, vouloir ou ne pas vouloir, affirmer ou nier : c’est là une erreur qui vient de ce qu’on ne distingue pas le désir de la volonté ; voyons donc la différence de l’un et de l’autre.

Suivant Spinoza, la volonté, c’est la puissance d’affirmer ou de nier ; le désir, c’est l’inclination de l’âme portée vers un objet qu’elle considère comme bon. Or nous avons vu que la volonté n’était pas libre : voyons si le désir l’est davantage.

D’abord, le désir dépend de nos idées, qui elles-mêmes nous l’avons vu dépendent d’une cause externe. De plus, les hommes passent d’un désir à un autre sans savoir ce qui les détermine à ce changement, et ce ne peut être encore qu’une cause externe. Par exemple, si je fais entendre à un petit enfant le bruit d’une sonnette, est-il possible qu’il n’ait pas immédiatement le désir de l’entendre encore et de la posséder ? En effet, si je suppose qu’il ne connaisse actuellement rien autre de meilleur, pourquoi préfèrerait-il à ce bien présent un autre dont il n’aurait pas l’idée ? Mais, dira-t-on, il peut renoncer à son désir. Comment le pourrait-il ? Qui est-ce qui pourrait détruire en lui ce désir ? Serait-ce ce désir lui-même ? mais il n’est aucune chose qui tende à sa propre destruction ; la seule chose qui puisse l’affranchir de ce désir, c’est que par la nature et l’ordre des choses il reconnaisse quelque autre objet meilleur et plus séduisant. En outre, il n’y a pas plus de désir en soi que de volonté