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XXXVII
INTRODUCTION

elle doit donc avoir une autre cause qu’elle-même ; elle n’est donc pas libre. On soutient que cette cause, c’est la volonté même, laquelle est distincte de l’entendement, quoique liée avec lui ; mais ce sont là des êtres de raison : car si c’étaient des êtres réels, ce seraient des substances ; et comme l’âme, dit-on, dirige l’une et l’autre, il y aurait là encore une troisième substance.

Cette objection, que Spinoza du reste développe assez peu, ne paraît pas trop s’accorder avec son propre système, car lui-même, entre la substance et les modes, admet un intermédiaire, qu’il appelle l’attribut. On ne dira cependant pas qu’il admet trois substances en Dieu, parce qu’outre la substance, il reconnaît encore deux attributs, l’étendue et la pensée. Toute la question est de savoir s’il y a des substances finies ; mais, s’il y avait de telles substances, on ne voit pas pourquoi ces substances n’auraient pas des attributs, tout comme la substance infinie elle-même. On voit donc que l’on pourrait admettre, même selon Spinoza, la volonté et l’entendement comme réels, sans en faire des substances. L’âme en tant que produisant des actes sera considérée comme capable de les produire et s’appellera volonté ; et, en tant que produisant des idées et capable de produire ces idées, elle s’appellera intelligence. Il n’y aurait rien là que de conforme aux principes de Spinoza.

Une seconde objection, plus profonde que la précédente, est celle-ci : la volonté ne peut pas être essentiellement distincte de l’intelligence ; car, si l’idée n’est pas dans la volonté, l’amour ne pourra pas y naître ; on ne peut vouloir quelque chose dont l’idée ne soit pas dans la puissance voulante elle-même. Admettra-t-on que la volonté, par son union avec l’intelligence, pourra percevoir ce qui est dans l’entendement, et par conséquent l’aimer ? mais percevoir est un mode de l’intelligence. Lors même qu’on supposerait entre la volonté et l’entendement une union semblable à celle qui existe entre l’âme et le corps, cela ne servirait à rien, car le corps par son union avec l’âme ne devient pas par là sentant, et l’âme ne devient pas étendue par son union