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XXXI
INTRODUCTION

L’amour est d’autant meilleur que son objet est plus pur et plus élevé. Mais il est cependant impossible de s’en libérer absolument, même pour les choses inférieures ; et celui-là même nous est utile et nécessaire à cause de notre faiblesse. Ainsi l’amour des choses corruptibles, quoique étant le moins bon en soi, est cependant nécessaire, parce que ces choses sont nécessaires à notre existence ; mais, comme elles sont caduques, elles ne nous apportent aucune force, et même elles nous nuisent : étant des biens misérables, elles nous rendent misérables, et elles nous privent des vrais biens. En outre, ces biens (comme l’ont dit Épictète et Descartes) ne dépendent pas de notre volonté, et par là encore ce sont des biens inférieurs, qui n’en sont pas réellement pour nous. Ce n’est pas que Spinoza admette que nous soyons une cause libre ; mais nous entendons, dit-il, par choses qui sont en notre pouvoir les actions que nous accomplissons conjointement avec la nature dont nous sommes une partie ; et, par choses hors de notre pouvoir, celles qui s’accomplissent hors de nous et sans nous et sur lesquelles nous ne pouvons rien ; ainsi nous pouvons augmenter la somme de nos connaissances, mais nous ne pouvons pas produire ou empêcher les intempéries de l’air.

Quant à la seconde classe d’objets, les incorruptibles par leur cause, nous ne pouvons les concevoir sans Dieu ; nous ne pouvons donc les aimer sans aimer Dieu, puisque notre amour change d’objet aussitôt qu’il rencontre quelque chose de meilleur.

Reste enfin l’amour de Dieu, le seul amour qui soit absolument bon, parce que son objet est absolument incorruptible.

Quant à la haine, pour savoir si elle est bonne ou mauvaise, Spinoza se demande si nous pouvons agir avec ou sans passion : avec passion, comme le maître qui s’emporte contre son serviteur ; sans passion comme Socrate se refusant à châtier un esclave pris en faute. Lequel vaut le mieux, de vouloir échapper aux choses par la haine ou l’aversion, ou de s’y résigner par la raison ? On reconnaîtra sans doute qu’il n’y a pas