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XX
INTRODUCTION

pourrait concevoir un monde plus complet et plus parfait que celui qui existe.

b. Ce serait une imperfection en Dieu de ne pas créer tout ce qu’il conçoit, car qui est-ce qui le déterminerait à choisir ? et, s’il était déterminé par quelque cause, ce serait en lui une imperfection, car il obéirait à une cause moindre que lui-même.

c. Dieu doit avoir prédestiné toutes choses de toute éternité[1] ; autrement, il ne serait pas immuable. Mais, dans l’éternité, il n’y a ni avant ni après. Dieu n’a donc pu être avant cette prédestination, ni sans elle. Donc il n’a jamais pu vouloir autre chose que ce qu’il a voulu.

d. Si Dieu ne faisait pas ce qu’il fait, ce serait pour une cause ou sans cause. Pour une cause ? il serait donc nécessaire qu’il s’abstint. Sans cause ? il serait alors nécessaire pour lui de ne pas s’abstenir.

e. Soutenir que Dieu peut faire autre chose que ce qu’il fait, c’est se faire une idée fausse de la liberté divine, laquelle consiste exclusivement à n’être contrainte par aucune cause externe. Quant à la faculté de pouvoir ne pas faire le bien, c’est une imperfection, et elle enveloppe un défaut.

f. On soutient que le bien n’est bien que parce que Dieu l’a voulu, et qu’il pourrait faire que le mal devint bien. C’est comme si l’on disait que Dieu est Dieu parce qu’il a voulu être Dieu[2].

g. Soutenir que Dieu aurait pu vouloir les choses autrement qu’elles ne sont, c’est dire qu’il eut pu avoir un autre entendement et une autre volonté, en d’autres termes qu’il aurait pu être autre qu’il n’est, et, comme il est souverainement parfait, qu’il aurait pu ne pas être partait.

Voilà pour la première proposition : Dieu peut-il faire autre chose que ce qu’il fait ?

  1. La prédestination est donc la même chose que l’action nécessaire, quoique Spinoza distingue ces deux choses.
  2. On voit que Spinoza considère ici la distinction du bien et du mal comme absolue, tandis qu’ailleurs, et même dans l’Éthique, il ne la considère que comme relative.