Page:Spinoza - Court traité sur Dieu, l’homme et la béatitude.djvu/166

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
110
DIEU, L’HOMME ET LA BÉATITUDE

grande puissance sur nous que ce qui nous arrive du dehors, il s’ensuit que la raison peut bien être cause de la destruction de ces opinions que nous tenons du seul ouï-dire, parce que la raison n’est pas comme celles-ci venue du dehors ; mais il n’en est pas de même de celles que nous devons à notre expérience. En effet le pouvoir que nous tenons de la chose elle-même est toujours plus grand que celle que nous acquérons par l’intermédiaire d’une autre chose, comme nous l’avons montré plus haut, en distinguant le raisonnement et la claire intelligence, d’après l’exemple de la règle de trois, car il y a plus de puissance à comprendre la proportionnalité en elle-même qu’à comprendre la règle des proportions. Et c’est pourquoi nous avons souvent dit qu’un amour est détruit par un autre qui est plus grand ; mais nous n’entendons pas par là le désir, qui ne vient pas, comme l’amour, de la vraie connaissance, mais du raisonnement[1].

  1. On ne voit pas clairement comment l’explication précédente répond à la question, laquelle n’est autre que le fameux Video meliora. La question est posée par Spinoza en ces termes : Pourquoi, dans certains cas, la raison (la réflexion ou pensée discursive) vient-elle à bout des passions, et, dans d’autres cas, n’en vient pas à bout ? Voici comment il répond à ce problème : On sait que les passions viennent de l’opinion, et que l’opinion elle-même a deux sources : le oui-dire et l’expérience. Or, lorsque les passions naissent d’une opinion extérieure, d’un préjugé, la raison, qui n’est pas extérieure, mais intérieure, a plus de puissance qu’elles. Mais lorsqu’elles naissent de notre propre expérience, c’est-à-dire du plaisir immédiat que nous avons trouvé dans la chose elle-même, la raison ou la réflexion, qui n’est qu’une opération médiate, est inférieure en puissance à la passion elle-même : elle ne peut enfanter que le désir, lequel à son tour, dérivant d’une puissance discursive, est incapable de vaincre l’amour. Ainsi l’amour inférieur ne peut être vaincu que par un amour supérieur qui nait de la vraie connaissance. Telle nous parait être ici lu suite des idées. (P. J.)