nous ne pourrions pas penser Dieu, mais nous ne pourrions rien penser du tout. En effet, les choses connaissables sont infinies : or l’entendement, étant fini, ne peut penser l’infini ; ne pouvant connaître l’infini, c’est-à-dire le tout, il n’y a pas de raison pour qu’il puisse connaître ceci plutôt que cela. Donc il ne connaitra rien, s’il n’y est déterminé par une cause ; et cette cause ne peut être que l’être formel lui-même de nos idées, et ainsi la cause de l’idée de Dieu doit être l’être formel de Dieu.
En outre, l’idée de Dieu ne peut pas être une création de l’esprit humain. En effet, il y a trois sortes d’idées (division analogue, sinon tout à fait semblable, a celle de Descartes) : 1o les idées factices, créées par l’homme, mais dont les éléments ne sont pas créés par lui ; 2o les idées qui ne sont pas nécessaires dans leur existence, mais qui le sont dans leur essence : telles que le triangle, l’amour dans l’âme sans le corps, etc. Ces essences subsisteraient encore quand même leurs objets n’existeraient pas : il leur faut cependant un sujet d’inhérence et ce n’est pas l’esprit fini qui peut être ce sujet : ce doit être un substratum éternel comme elles : ce substratum est Dieu. On reconnaît ici la preuve des vérités éternelles, si admirablement exprimée par Bossuet. 3o Enfin, il y a une troisième classe d’idées ; et il n’y en a qu’une seule de ce genre : c’est celle où l’existence et l’essence sont également nécessaires et qui par conséquent ne peut être créée par moi. Ici Spinoza entremêle la première preuve avec la seconde et il rend celle-ci inutile, car, si en Dieu l’existence est nécessaire aussi bien que l’essence, cela même est la preuve de l’existence de Dieu, et je n’ai pas besoin d’en chercher une autre.
On peut voir que, dans l’Éthique, Spinoza a lui-même beaucoup perfectionné toute cette partie de son œuvre, ce qui nous dispense de montrer à quel point cette première forme est imparfaite et confuse.
L’observation la plus importante qu’elle provoque, c’est qu’elle est une preuve frappante de l’influence de Descartes sur Spinoza, influence qui a été beaucoup