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DE NOTRE BÉATITUDE

de notre corps, nous nous unissons alors à lui plus étroitement qu’avec le corps ; et alors seulement nous sommes affranchis du corps. Je dis plus étroitement, car nous avons déjà démontré antérieurement que sans Dieu nous ne pouvons ni exister ni être conçus, et cela vient de ce que nous ne le connaissons et ne pouvons le connaître que par lui-même, et par conséquent beaucoup mieux que nous ne nous connaissons nous-mêmes, puisque nous ne pouvons nous connaître sans lui.

De ce que nous avons dit jusqu’ici, il est facile de déduire quelles sont les principales causes de nos passions. Le corps et ses actes, repos et mouvement, ne peuvent apporter aucune modification à l’âme, si ce n’est se présenter à elle comme objets ; et selon les représentations qu’ils nous procurent, soit du bien, soit du mal[1], l’âme est différemment affectée ; mais ce n’est pas le corps en tant que corps qui produit cet effet (car alors il serait la principale cause des

  1. Mais d’où vient, dira-t-on, que nous connaissons tel objet comme bon, tel autre comme mauvais ? Réponse : comme ce sont les objets qui font que nous les percevons, nous sommes affectés par l’un autrement que par l’autre. Ceux-là donc par lesquels nous sommes affectés de la manière la plus mesurée possible (en raison de la proportion de repos et de mouvement qui les constitue), ceux-là nous sont les plus agréables, et, dans la mesure où ils s’éloignent de cette proportion, moins agréables. De là naissent en nous toute espèce de sentiments, dont nous avons conscience, et qui fréquemment sont produits en nous par des objets corporels qui agissent sur notre corps et que nous appelons impulsions, comme par exemple si nous faisons rire quelqu’un qui est dans la tristesse, en le chatouillant ou en le faisant boire du vin, ce dont l’âme a conscience, sans en être cause : car, lorsqu’elle agit elle-même, le genre de gaieté qu’elle produit est d’une toute notre nature, car alors ce n’est pas le corps qui agit sur le corps, mais c’est l’âme raisonnable qui se sert du corps comme d’un instrument ; et ainsi plus l’âme agit, plus le sentiment est parfait. (MS.)