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DIEU, L’HOMME ET LA BÉATITUDE

qu’il considère ceux-ci comme des choses réelles, et ainsi il se considère comme étant lui-même une cause, comme il arrive dans la question dont nous parlons. Car on se demande pourquoi l’homme veut ceci ou cela, et la réponse est : parce qu’il a une volonté. Cependant la volonté, comme nous l’avons dit, n’étant que l’idée généralisée de telle ou telle volition particulière, n’est par conséquent qu’un mode de la pensée, un ens rationis et non un ens reale ; rien par conséquent ne peut être causé par là, car rien ne vient de rien. Si donc la volonté n’est pas une chose dans la nature, mais seulement une fiction, il n’y aura pas lieu de se demander si elle est libre ou non. Maintenant, s’agit-il de telle ou telle volition particulière, c’est-à-dire de l’affirmation et de la négation, pour savoir si nous sommes libres ou non, il suffit de se souvenir que l’acte de connaître est une pure passion, de sorte que nous n’affirmons, ne nions jamais quoi que ce soit de quelque chose ; mais c’est la chose elle-même qui en nous affirme ou nie quelque chose d’elle-même.

Plusieurs se refusent à nous accorder cela, persuadés qu’ils peuvent à volonté affirmer ou nier d’un objet quelque chose d’autre que ce qu’ils ont dans l’esprit ; mais cela vient de ce qu’ils ne font pas de différence entre l’idée d’une chose dans l’esprit et les mots par lesquels elle est exprimée. Il est vrai que lorsque quelque raison nous y porte, nous pouvons, soit par des mots, soit par tout autre moyen, communiquer aux autres sur une chose une pensée différente de celle que nous avons réellement. Mais il est impossible que nous-mêmes, par le moyen des mots ou de tout autre signe, nous sentions autre chose que ce que nous sentons : ce qui est clair pour tous ceux qui font attention à leur intelligence, abstraction faite de l’usage des signes.