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DE LA HAINE

ne doit avoir aucune place en nous, car nous savons qu’une seule et même chose peut nous paraître bonne dans un temps et mauvaise dans un autre, comme on le voit pour les médicaments.

Reste à savoir si la haine vient toujours de l’opinion, et si elle ne peut pas naître aussi en nous de la connaissance vraie. Pour résoudre cette question, il est bon d’expliquer clairement ce que c’est que la haine, et de la distinguer de l’aversion.

La haine est l’émotion de l’âme qui s’élève contre quelqu’un qui nous a fait du mal avec connaissance et intention.

L’aversion est l’émotion qui s’élève dans l’âme contre une chose à cause du tort et du dommage que nous croyons, ou que nous savons venir de la nature de cette chose. Je dis : de sa nature, parce que, lorsqu’il n’en est pas ainsi, si nous recevons d’une chose quelque tort ou dommage, nous n’avons pas d’aversion pour elle ; bien plus, nous pouvons nous en servir pour notre utilité : par exemple, celui qui est blessé par une pierre ou un couteau n’a pas pour eux de l’aversion[1].

Cela posé, voyons les effets de l’une et de l’autre.

De la haine procède la tristesse, et d’une grande haine la colère, laquelle non-seulement, comme la haine, cherche à éviter ce qu’elle hait, mais encore à le détruire, s’il est possible ; et enfin de cette grande haine procède l’envie.

De l’aversion naît une certaine tristesse, parce que nous nous efforçons de nous priver d’une chose qui, étant réelle, a quelque essence et par conséquent quelque perfection.

  1. Spinoza distingue ici les choses qui sont mauvaises par leur nature même (comme la mort) et celles qui ne le sont que par accident. (P. J.)