Page:Spinoza - Court traité sur Dieu, l’homme et la béatitude.djvu/122

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
66
DIEU, L’HOMME ET LA BÉATITUDE

C’est assez pour montrer que la raison nous apprend à nous séparer de ces biens périssables, car, par ce que nous venons de dire, on voit le vice et le poison cachés dans l’amour de ces choses, ce que nous verrons avec encore plus de clarté, en remarquant combien grand et magnifique est le bien que leur jouissance nous fait perdre.

Nous avons dit déjà précédemment que les choses corruptibles sont en dehors de notre puissance ; cependant, qu’on nous comprenne bien : nous n’avons pas voulu faire entendre par là en aucune manière que nous sommes une cause libre qui ne dépend de rien autre chose que d’elle-même ; mais, lorsque nous disons que certaines choses sont ou ne sont pas en notre puissance, voici ce que nous entendons par là : celles qui sont en notre puissance sont celles que nous effectuons conformément à l’ordre de la nature dont nous faisons partie, et conjointement avec elle : celles qui ne sont pas en notre puissance sont celles qui, étant en dehors de nous, ne sont sujettes à aucun changement par notre fait, parce qu’elles sont absolument séparées de notre essence réelle, telle qu’elle a été déterminée par la nature.

Passons à la seconde classe d’objets, ceux qui, quoique éternels et incorruptibles, ne le sont pas cependant par leur propre vertu. Le plus simple examen nous apprend que ces objets ne sont autres que les modes qui dépendent immédiatement de Dieu : leur nature étant telle, ils ne peuvent être compris par nous sans que nous ayons en même temps un concept de Dieu, dans lequel aussitôt, puisqu’il est parfait, notre amour doit nécessairement se reposer ; en un mot, il est impossible, si nous usons bien de notre entendement, que nous négligions d’aimer Dieu, ce dont les raisons sont assez claires. En effet :

1o Nous savons par expérience que Dieu seul a une